L'acception large de l'État social présente un double avantage. Elle permet, tout d'abord, de saisir la portée de la véritable rupture intervenue au XXème siècle en termes de régulation économique et sociale. Elle permet, en second lieu, d'insister sur le fait qu'on ne dispose pas de sa théorie. Commençons par préciser le premier volet.
[...] Les allocations chômage sont plus faibles aux États-Unis, mais cela y est justifié par le fait que le plein emploi est posé comme la norme à respecter. Le chômage étant temporaire, il n'y a pas lieu, dans cette optique, d'étendre les durées d'indemnisation au-delà d'une période limitée. Cette durée d'indemnisation est traditionnellement de 26 semaines dans la plupart des États américains. Encore faut-il que l'économie soit proche du plein emploi. Lorsque le taux de chômage au sein d'un État est élevé, il est prévu qu'elle soit augmentée de 13 semaines. [...]
[...] Compte tenu du poids qu'y occupe l'État en l'espèce, la France bas cule alors plutôt du côté social-démocrate, tandis que la Suède et le Danemark, négociation collective oblige, basculent du côté corporatiste. De même pour les services publics: les pays libéraux que sont le Royaume-Uni et les États-Unis sont devant le Japon, mais aussi devant l'Allemagne. Cependant, c'est sans doute par la prise en compte du pilier politique économique que les typologies usuelles sont le plus déstabilisées. La plupart d'entre elles, et pas seulement celle proposée par Esping Andersen, sont construites en évacuant ce pilier. [...]
[...] Il y est indiqué que « les socialistes sont partisans d'une économie sociale et écologique de marché, une économie de marché régulée par la puissance publique, ainsi que par les partenaires sociaux, qui a pour finalité la satisfaction des besoins sociaux essentiels ». Le ver, peut-on juger, est cependant dans le fruit. L'essentiel est bien inscrit: elle a beau être sociale, écologique et régulée, l'économie n'en reste pas moins posée comme devant être de marché. Juste après est ajoutée une référence à l'économie mixte. Mais le ver produit déjà ses effets. Ladite économie mixte est, en effet, présentée comme l'articulation d'un « secteur privé dynamique» et d'un « secteur public efficace». [...]
[...] Comment saisir, y compris d'un point de vue théorique, la portée de cette intervention? Un premier pas s'impose: il faut se désaliéner de l'idée, massivement répandue, selon laquelle nous vivons e n é c o n o m i e d e m a r c h é . La notion d'économie de marché est doublement problématique. Elle est un euphémisme pour ne pas avoir à dire économie capitaliste, ou, référence plus sulfureuse, mode de production capitaliste. En toute rigueur, il importe pourtant de distinguer, à la suite de Marx qui s'inspire lui-même d'Aristote, la circulation marchande simple (vendre pour acheter) de la circulation de l'argent comme capital (acheter pour vendre). [...]
[...] Mais ceci explique-t-il cela? C'est oublier qu'à chaque fois ces pays ont mobilisé de pair deux autres leviers de la politique économique: la baisse des taux d'intérêt et la dévaluation, souvent massive, de leur monnaie, afin de tirer leur croissance par les exportations. C'est oublier surtout que tous ces exemples relèvent d'une expérience singulière, celle de petits pays largement ouverts sur l'extérieur, laquelle n'est, par construction, pas généralisable. Les États-Unis, le Japon et les principaux pays de la zone euro ne peuvent, par définition, dévaluer en même temps leur monnaie les uns par rapport aux autres. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture