Dans Les passions et les intérêts, Hirschman propose de justifier l'apparition du capitalisme en recourant aux réflexions des philosophes depuis le XVIième siècle. Il reprend la problématique de Max Weber : comment l'activité lucrative, tant contestée aux XVIième et XVIIième siècles, est-elle devenue si vertueuse ? Ainsi, il étudie le concept d'intérêt dans l'histoire des idées et montre comment les passions se sont progressivement identifiées à l'intérêt individuel. Hirschman décrit le processus endogène de la constitution progressive d'un système social démocratique viable car, l'influence de la religion diminuant, les comportements humains sont de moins en moins contrôlables (et gouvernables).
A la Renaissance, le comportement idéal est celui des aristocrates et vise la poursuite de la gloire et du pouvoir. Ce motif est considéré par les penseurs comme une passion héroïque condamnable. Les passions humaines sont destructrices et ne peuvent assurer la cohésion sociale. Ainsi, au cours du XVIIième siècle, les penseurs développent une méthode pour parvenir à maîtriser les passions et donc à établir un ordre social stable : le principe de la passion compensatrice. Il s'agit d'opposer les passions entre elles afin qu'elles se neutralisent mutuellement. Ce principe de la passion compensatrice illustre la vision dominante à cette époque de la nature humaine, vision pessimiste présentant les passions comme un pouvoir destructeur grandement nuisible. Une passion compensatrice se distingue alors des autres : l'intérêt. L'intérêt se réfère alors aux divers désirs humains requérant un choix réfléchi et raisonné. Les philosophes du XVIIième siècle mettent « désormais en contraste les conséquences heureuses des activités dictées par l'intérêt avec les calamités que déchaîne le libre jeu des passions », (Les passions et les intérêts). Le concept d'intérêt est développé initialement par Machiavel, qui y voit un instrument de régulation politique idéal pour accroître la puissance et la richesse du Prince.
Vers la fin du XVIIième siècle et le début du XVIIIième siècle, on note une évolution du contenu du concept d'intérêt. D'une part, l'intérêt se restreint au domaine économique, il est assimilé à la cupidité, à l'avarice ou à l'appât du lucre. D'autre part, outre sa contribution à l'art de gouverner, on reconnaît à l'intérêt son influence positive sur le comportement des groupes sociaux. L'intérêt suscite un remarquable enthousiasme parmi les penseurs de l'époque, qui être expliqué par les avantages qu'il présente : la prévisibilité et la constance. En effet, il est bien plus facile de gouverner une société composée d'individus poursuivant leur richesse et dont le comportement est par conséquent prévisible et constant qu'une société d'êtres lunatiques soumis à des passions changeantes. Au XVIIIième siècle, Montesquieu, James Steuart et John Millar participent au développement de « la thèse du doux commerce ». Selon Montesquieu et James Steuart, le développement du commerce limite le pouvoir arbitraire du monarque. Pour Montesquieu, le change et la lettre de change privent l'Etat de son pouvoir de « confisquer des biens et d'altérer la monnaie ». Pour James Steuart, l'Etat ne peut plus abuser de son pouvoir en raison de la complexité de la nouvelle structure de l'économie engendrée par le développement des échanges. John Millar met en évidence la capacité de coalition de la nouvelle population marchande et donc sa capacité d'action collective permettant de défendre ses intérêts. A la fin du XVIIIième siècle, la capacité de l'intérêt à lutter contre les passions est ensuite remise en cause. De plus, émerge une vision nouvelle, optimiste quant à la nature humaine. Les passions sont alors réhabilitées. Ce nouveau courant peut être illustré par cette citation de Hume : « nous sommes redevables aux passions d'améliorer un monde dominé par l'intérêt ».
[...] Il s'agit d'opposer les passions entre elles afin qu'elles se neutralisent mutuellement. Ce principe de la passion compensatrice illustre la vision dominante à cette époque de la nature humaine, vision pessimiste présentant les passions comme un pouvoir destructeur grandement nuisible. Une passion compensatrice se distingue alors des autres : l'intérêt. L'intérêt se réfère alors aux divers désirs humains requérant un choix réfléchi et raisonné. Les philosophes du XVIIième siècle mettent désormais en contraste les conséquences heureuses des activités dictées par l'intérêt avec les calamités que déchaîne le libre jeu des passions (Les passions et les intérêts). [...]
[...] Selon Hirschman, Smith, en isolant l'intérêt du réseau passionnel dans lequel il s'insérait, aboutit à la rationalisation du domaine économique, ainsi la dualité des passions et de la raison resurgit tandis que le concept de la passion compensatrice devient obsolète. Hirschman présente ainsi une conception de l'économie fondée sur une réduction du domaine d'étude de la morale. Pour critiquer cette conception, je recourrai à la thèse de Jean Pierre Dupuy qui voit au contraire dans l'œuvre de Smith les fondements d'un système social révolutionnaire. Jean Pierre Dupuy rejette cette conception de l'économie comme spécialisation de la morale. Il décèle dans La théorie des sentiments moraux une science sociale dont l'économie et la morale sont deux objets complémentaires. [...]
[...] Les débats d'idées franchissent alors les limites du domaine des jeux de l'esprit et de la réflexion, ils interviennent dans l'écriture de l'histoire. Hirschman espère ainsi donner une leçon aux penseurs d'aujourd'hui, dont les écrits prouvent qu'ils ont oublié les idées du passé. L'originalité de l'analyse de Hirschman réside ainsi dans la nature de ses justifications du capitalisme : celles-ci relèvent de l'histoire des idées. Cette approche est enrichissante dans la mesure où elle permet de nuancer l'approche matérialiste de Marx ou l'étude de l'influence religieuse de Max Weber. [...]
[...] Commentaires Comparaison de l'approche de Hirschman et de l'approche de Max Weber Pour Hirschman, l'apparition du capitalisme est un processus endogène à la société traditionnelle du XVIIIième siècle. En effet, les aristocrates, bien qu'ils méprisaient l'activité mercantile, ont encouragé son développement dans le but de discipliner les passions destructrices des hommes. Les élites de l'époque ont vu dans l'activité lucrative un avantage adventice fort appréciable, celui d'occuper les intéressés et de les empêcher de faire des bêtises et surtout celui de mettre fin au caprice du prince, à l'arbitraire du pouvoir et à une politique étrangère aventureuse Pour Weber, l'essor du capitalisme provient du fait que certains groupes sociaux, les protestants, ont vu dans l'accumulation du capital le moyen de réaliser la volonté divine et dans la fortune un signe qu'ils étaient élus de Dieu. [...]
[...] Cette activité constitue un but en soi et ne doit pas être un moyen de satisfaire ses besoins matériels. Pour Weber, l'apparition du capitalisme s'explique par l'émergence d'un groupe social investi d'un devoir professionnel lucratif. Weber souligne également le rôle endossé par le traditionalisme : celui-ci constitua un frein au développement de l'activité marchande, un adversaire du capitalisme. Le terme de traditionalisme se réfère à l'idée selon laquelle l'homme ne désire pas gagner davantage d'argent que ce qui lui est nécessaire pour vivre comme il est habitué à vivre. [...]
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