Dans une perspective sociologique 'bourdieusienne', le livre de Frédéric Lebaron analyse les modes de production, de reproduction et de diffusion de ce qu'il appelle les croyances économiques. La science économique comme croyance serait selon sa thèse une forme particulière de représentation collective qui fonderait et légitimerait l'ordre social contemporain
[...] Cette hypothèses semble pour le moins excessive. Même les courants critiques, hétérodoxes, quels qu'ils soient, participeraient à la diffusion de l'idéologie conservatrice qu'est l'"économisme". Il semble très contestable de classer l'ensemble des économistes dans une même catégorie, comme le fait Lebaron. Les dissensions internes qu'il met en avant vont justement dans le sens d'une relative hétérogénéité du champ. Il n'explique par contre pas vraiment par quels procédés ce sont quasi exclusivement les représentations du courant de pensée dominant qui sont véhiculées à l'extérieur du champ. [...]
[...] Nous tâcherons dans ce travail de procéder à une présentation des principaux arguments du livre pour ensuite les discuter Le champ des économistes La première partie de l'ouvrage est consacrée à l'étude du champ des économistes, en tant qu'espace de production des croyances économiques. Il s'agit ainsi d'une analyse sociologique critique du champ scientifique où elles sont produites, effectuée avec la "boîte à outils" théorique de Pierre Bourdieu[1]. Dans cette perspective, le champ des économistes tirerait ses principales caractéristiques de sa position centrale au sein du champ du pouvoir, ce qui lui conférerait un rôle fondamental dans le processus de reproduction de l'ordre social. [...]
[...] Le comportement des acteurs sociaux n'est pas toujours "rationnel", il est fonction de facteurs divers tels que leur socialisation, leur trajectoire sociale et les contraintes structurelles dans laquelle leur action s'inscrit. Comme l'a souligné Mark Granovetter notamment, l'action économique est elle aussi inscrite dans un cadre social. Dans la théorie économique néoclassique, les acteurs agissent dans un "vide social", cherchant systématiquement à maximiser leur profit. Par opposition, l'individualisme méthodologique ne constitue qu'un courant parmi d'autres en sociologie, alors qu'il est hégémonique en économie. [...]
[...] En posant le postulat que les acteurs sont rationnels et cherchent à maximiser systématiquement leur profit, on pourra prévoir leur comportement par des modèles plus ou moins mécanistes. Ce n'est pas le cas de la sociologie - mis à part peut être les courants béhavioristes ou inspirés de la théorie économique elle-même elle ne permet de dégager que des probabilités, et pas des réelles certitudes. Sans recourir à des principes philosophiques, on pourrait ainsi traduire l'omniprésence de l'économie comme la réponse à une demande sociale de certitudes, un besoin de contrôle sur l'avenir de la part de la société. [...]
[...] (Lebaron, 2000: 43). Ces facteurs donnent à l'extérieur l'image d'une science unifiée (où régnerait un consensus général sur les principaux modèles théoriques utilisés) et intégrée (autour d'un cadre institutionnel défini: le champ académique). Ces fondements prétendument rationnels, neutres et scientifiques sont à la base de la légitimité du discours économique et de l'autorité des économistes. Dans le même ordre d'idée, l'image de "neutralité" des banques centrales, par exemple, contribue à naturaliser les orientations de ses dirigeants comme des évidences indépassables. [...]
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