Douglas North, « Institutions », Journal of Economic Perspectives, 1991

Résumé du document

Les institutions sont les contraintes humaines qui structurent les interactions politiques, économiques et sociales. Elles consistent à la fois en des contraintes informelles (sanctions, tabous, coutumes…) et des règles formelles (constitutions, lois, droit de propriété…). En créant un ordre et en réduisant l'incertitude dans les échanges, les institutions fournissent la structure des incitations d'une économie, et leur évolution détermine l'orientation du changement économique (croissance, stagnation ou déclin).
Les travaux précédents (tels ceux de Williamson, 75, 85) envisageaient les institutions comme des solutions efficaces aux problèmes d'organisation dans un environnement concurrentiel. Pourtant l'histoire économique est majoritairement celle d'économies qui n'ont pas réussi à produire un ensemble de règles économiques susceptibles de favoriser une croissance économique soutenue. Douglas North développe ici une réflexion sur le rôle même des institutions dans la performance des économies: comment une économie réalise-t-elle les marchés efficaces et compétitifs supposés par l'approche de Williamson ?
Les institutions contraignent les interactions humaines par deux canaux décisifs:
- les coûts de production
- les coûts de transaction.
En les abaissant, les institutions permettent que les gains potentiels de l'échange deviennent réalisables.
D. North illustre son analyse par l'histoire économique.

Extraits

[...] L'évolution institutionnelle aux débuts de l'Europe moderne D. North décrit d'abord les innovations qui ont engendré de façon séquentielle (c'est-à-dire en s'ajoutant dans un certain ordre) une organisation sans cesse plus complexe, pour ensuite explorer quelques-unes de leurs sources. Une première innovation consiste en l'augmentation de la mobilité du capital. Trois facteurs l'ont favorisée. - d'abord l'élaboration de techniques et méthodes pour échapper aux lois sur l'usure (c'est-à-dire sur l'intérêt prélevé sur l'argent). Ces lois ont progressivement disparu, diminuant de ce fait les coûts d'écriture et d'exécution des contrats. [...]

[...] Les coûts de transaction y sont bas. Mais, comme le commerce s'étend au-delà d'un seul village, les possibilités de conflits se multiplient et les coûts de transaction s'accroissent en même temps que le réseau social dense se relâche. Plus de ressources doivent être alors consacrées à la résolution des problèmes d'exécution de l'échange. La spécialisation géographique et la spécialisation des activités se développent, avec l'apparition d'organisations hiérarchisées de production. Dans une deuxième étape, la croissance du commerce à longue distance pose deux problèmes de coûts de transaction : - une difficulté d'agence classique, c'est-à-dire relevant des coûts d'information, de garantie du bon déroulement des affaires dans un espace lointain. [...]

[...] Assurance et diversification du portefeuille sont dans le monde moderne les méthodes de conversion de l'incertitude en risque. Ces innovations spécifiques et ces instruments institutionnels furent le fait de deux forces économiques fondamentales : les économies d'échelle, et le développement de meilleurs mécanismes pour faire exécuter les contrats à moindre coût (ainsi, le droit commercial évolua par emprunt aux lois et aux méthodes comptables étrangères). La causalité entre ces deux éléments est réciproque : le volume croissant des affaires nécessite la création de mécanismes efficaces pour le respect des contrats afin d'améliorer les profits ; à l'inverse, ces mécanismes plus efficaces apportent des profits qui mènent à une augmentation du volume commercial. [...]

[...] parce que des institutions qui rendraient de telles organisations viables et profitables, en assurant contre les asymétries d'information, sont inexistantes. le commerce caravanier (Maroc rural ; étudié en particulier par Clifford Geertz, 79). Ce cadre commercial illustre l'importance que peuvent prendre les contraintes informelles. En effet, le droit de passage ou zettata (mot berbère) ne se compose pas seulement d'un paiement, mais aussi d'un ensemble complexe de rituels moraux. La bénédiction (baraka), protection personnelle, inconditionnelle et explicite, constitue la transaction essentielle. En entrant physiquement dans le monde tribal, le commerçant extérieur devait aussi y entrer culturellement (Geertz). [...]

[...] Qu'est-ce qui distinguait le contexte constitutionnel de l'Europe actuelle et celle des autres exemples ? La réponse traditionnelle est l'existence d'une concurrence entre les unités politiques européennes. Mais les divergences au sein même de l'Europe amènent à compléter cette réponse. D. North étudie en premier lieu les relations entre le cadre institutionnel premier, la structure organisationnelle qui en résulte, et le changement institutionnel. Dans les sociétés primitives le cadre institutionnel (formel) régulait les échanges tout autant que les règles informelles. [...]