Le Brésil figure aujourd'hui parmi les dix plus grandes puissances économiques mondiales. Avec 185 millions d'habitants et 8,5 millions de km², le pays fait partie des tout premiers producteurs de produits agricoles et agro-alimentaires mondiaux . Seuls la Chine, l'Australie et les Etats-Unis disposent de superficies agricoles supérieures. Classé parmi les pays émergents, qui ont su profiter de la libéralisation mondiale des échanges, cet immense territoire doit sa forte croissance à la richesse de ses sols. En effet, c'est du monde rural qu'est partie la croissance de ces dernières décennies. Les capitaux qui ont financé l'industrie des grandes villes comme Sao Paulo provenaient des devises engendrées par le commerce du café. Pendant longtemps, ce sont les « maîtres » du sucre, du café ou de l'élevage et les classes dominantes des villes qui se sont partagé le pouvoir politique et ont profité des leviers de l'Etat fédéral. L'agriculture n'a alors jamais cessé de jouer un rôle à la fois économique, social et politique au Brésil.
Cependant, la place prépondérante de l'agriculture brésilienne dans l'économie mondiale a ses revers, car le Brésil est aussi atteint d'une pathologie de développement qui a pour nom « exclusion ». Celle-ci se mesure par les inégalités de répartition du revenu, dont il détient le record absolu. De même, malgré sa superficie qui est la cinquième plus grande de la planète, plus de quatre millions et demi de familles y réclament une terre. Le Brésil est en effet un des pays au monde où la répartition foncière est la plus inégalitaire : 1 % des exploitants, soit cinquante mille personnes, détiennent 45 % de la surface agricole, tandis que 50 % de petits propriétaires, ne disposant que de 2,5 % de la superficie, emploient les deux tiers de la population rurale . Ces disparités reflètent les politiques des gouvernements successifs qui ont favorisé les grandes cultures d'exportation, source de croissance, au détriment de l'agriculture familiale vouée à une consommation interne. Le secteur agricole primaire représente 8 % de son PIB, et les produits issus de l'agro-industrie environ 30 % de ses exportations . Ainsi, l'agriculture a laissé progressivement sa place à l'agro-industrie, provoquant d'importants conflits entre les grands propriétaires entrepreneurs et la population rurale démunie de terres.
C'est dans ce contexte, que Luís Inácio Lula da Silva, couramment appelé « Lula », au pouvoir depuis octobre 2002, a promis la plus grande réforme agraire que le pays n'ait jamais connue. On définit la réforme agraire comme une redistribution de terre qui donne accès à la propriété à une base suffisamment ample d'agriculteurs familiaux afin de permettre une production agricole, principalement pour le marché intérieur. Au-delà d'une redistribution de la terre, c'est la démocratisation du moyen de production qu'est la terre qui est en jeu. De tout temps et dans tous les pays, la réforme agraire a été considérée comme la solution aux problèmes de la répartition foncière. Le gouvernement Lula n'a pas dérogé à la règle, cependant, il a souhaité allé plus loin, faisant de son projet de réforme agraire, une refonte du système sociale. Cependant, cette politique ambitieuse n'a pas connu le succès escompté et les espoirs des ruraux sans-terre s'effondrent progressivement. En effet, le gouvernement est tiraillé entre la nécessité d'une compétitivité du Brésil qui réponde à la libéralisation de l'économie mondiale et la volonté de construire un pays plus égalitaire et juste.
L'objectif consiste à comprendre les raisons de l'échec de la réforme agraire. Est-il révélateur de la dépendance de l'agriculture brésilienne à sa singularité historique et aux marchés mondiaux ? Quels ont été les freins, tant nationaux qu'internationaux, à une distribution plus juste des terres ? Ces questions permettent, dans un cadre plus large, de situer la place des réformes agraires sur le développement des pays émergents et dans le processus de mondialisation. Mais elles permettent également de mettre en exergue les paradoxes propres au Brésil et les défis économiques.
Une étude de la réforme agraire brésilienne de Lula requiert, en premier lieu, un examen préalable de la situation historique du pays en matière d'appropriation des terres, de la modernisation de l'agriculture et les choix politico-économiques entrepris lors des dernières décennies (I). Il s'agira, en deuxième lieu, de comprendre la place de l'agriculture brésilienne dans l'économie mondiale. Malgré la qualification du Brésil comme grande puissance agricole, et son imposition progressive au sein des négociations internationales, ce pays demeure dépendant de l'économie mondiale dominée par les grandes puissances occidentales (II). Ces deux points nous permettront, en troisième lieu, d'illustrer l'échec de l'application de la réforme agraire en essayant de comprendre ses raisons profondes (III).
[...] Une fois révélé comme favori, les marchés, inquiets que le futur président du Parti des Travailleurs ne poursuive pas l'orthodoxie financière de son prédécesseur, retirèrent leurs capitaux. Il s'agissait alors pour Lula de regagner la confiance des marchés. On peut comprendre alors l'ambiguïté de sa position sur le plan international La défense de l'agro-industrie comme arme diplomatique Le Brésil, au même titre que les autres puissances émergentes, comme la Chine, la Russie et l'Inde, aspire à attirer toujours plus de capitaux étrangers afin de financer son développement. [...]
[...] Malgré une volonté affichée du gouvernement Lula pour un accès plus juste à la terre, les décisions macroéconomiques prises lors de son mandat semblent paradoxales. En effet, le positionnement international du Brésil ou des mesures telles que la légalisation des OGM visant favoriser la culture du soja excluent toute stratégie différente de celles défendues depuis plus de quarante ans. Il semble illusoire de vouloir développer une agriculture paysanne de façon parallèlement à une agriculture patronale dans un contexte le Brésil participe à la libéralisation des échanges. [...]
[...] En décembre 2005, le FMI récupère ses fonds et le Président Lula annonce pour janvier 2006 son remboursement au Club de Paris ainsi qu'aux Nations Unies. Ainsi libéré de la pression de ses créanciers, le Brésil économise près de 100 millions de Dollars, lui permettant de financer ses prétentions de développement de sa défense nationale. La situation économique du Brésil le pousse à tenir une place ambiguë sur le plan des négociations internationales, tantôt se positionnant comme défenseur des pays les plus pauvres, tantôt acceptant les règles du marché. [...]
[...] L'échec du Plan national de réforme agraire (PNRA), proposé par le gouvernement Sarney (premier gouvernement civil après la dictature militaire) en mai 1985, témoignaient du pouvoir des grands propriétaires. En préconisant les distributions et l'expropriation à des fins de réforme agraire, le PNRA pénalisait en effet la propriété spéculative de la terre. Ses propositions ont été enterrées pour longtemps et la terre continue d'être fortement concentrée au Brésil, et ceci malgré une politique agraire plus active menée par le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso. [...]
[...] Il y a donc une opposition nette entre les lieux de la lutte pour la terre et ceux de l'installation des familles. Cela laisse penser que la politique du gouvernement Lula consiste à créer des assentamentos dans les régions où les terres sont les moins chères, du fait de l'éloignement des centres de consommation et du manque d'infrastructures. C'est également dans ces régions que les petites exploitations ont le moins de chance de réussir du fait de l'enclavement. L'attitude de Lula provoqua de profondes injustices en Amazonie, révélatrices des inégalités qui frappent tout le pays. [...]
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