« Chaque société a les crises de sa structure », écrivait l'historien français Ernest Labrousse, de l'Ecole des Annales… C'est un fait : les crises ont toujours fait partie de l'histoire du capitalisme et leurs formes varient selon les époques, les circonstances, bref selon « les capitalismes ». Ainsi a-t-on pu assister depuis le krach boursier d'octobre 1987 à un retour des crises, dont le nombre et l'intensité avaient diminué depuis la Seconde Guerre mondiale, retour des crises désormais très largement dominées par leur composante financière. Néanmoins, arguer du fait que le capitalisme se financiarise et qu'il a, de fait, les crises de sa structure, c'est faire fi des enseignements de l'histoire économique, qui nous montre que les crises sont bien souvent tout à la fois économiques et financières, et ce quelle que soit l'époque considérée : certes, les crises sont souvent déclenchées par un krach financier, mais les dysfonctionnements, voire les contradictions du système, qui mènent aux crises préexistent aux krachs. C'est pourquoi, prêter aux crises financières que connaît le monde depuis la fin des années 1980 un caractère systémique est peut-être une erreur : le e-krach de début 2000, dont les conséquences n'ont pas véritablement été à la mesure du choc, l'illustre. Une crise majeure se caractérise par des changements beaucoup plus profonds dans le système. Pourtant, certains auteurs considèrent que ces crises ne sont qu'une étape, nécessaire, pour la poursuite du mouvement d'ensemble de l'économie. Il s'agit donc de s'interroger sur l'impact des crises sur le système : sont-elles de véritables ruptures ? Ou sont-elles au contraire une étape par laquelle l'économie doit passer pour se maintenir et pouvoir soutenir le développement économique et social ? Dès lors, il s'agira d'analyser, d'une part, l'éventualité d'une « régulation par les crises », puis, d'autre part, la rupture que constitue nécessairement une crise majeure, pour finalement constater que la crise est le signe de la mutation du capitalisme, le débat portant ainsi sur le sens de cette mutation : va-t-elle dans le sens du développement ?
[...] Enfin, précisons que le dernier type de crise est celui de la crise du mode de production dont l'effondrement de l'économie soviétique est le meilleur exemple. Il est difficilement soutenable qu'une telle crise est une étape dans le développement économique et social lorsque l'on sait, comme le souligne Joseph Stiglitz, que cet effondrement a été responsable de la plus forte augmentation de la pauvreté dans l'histoire de l'humanité en si peu de temps (quelques années, voire quelques mois)[viii]. Finalement, qu'il s'agisse des crises liées au cycle majeur, des crises liées aux ondes longues, ou des crises systémiques, la résultat est toujours le même : en dépit des perturbations, la crise est, à long terme, une étape dans le développement économique et social, en ce sens qu'elle est source de changements économique, social et politique, technologique, institutionnel, qui permettent de soutenir la croissance à long terme. [...]
[...] Cependant, deux critiques sont envisageables : d'une part, à court terme, la crise majeure entraîne un regain de pauvreté difficilement conciliable avec le développement, d'autant plus si celui-ci se veut égalitaire ou tout du moins équitable ; d'autre part, la conception des crises comme des étapes dans le développement repose sur une vision très restrictive du développement, puisque celui-ci n'est appréhendé que comme l'élévation des niveaux de vie. Or le développement est un phénomène beaucoup plus complexe que cela : on sait qu'il peut y avoir croissance sans développement, par exemple dans des pays comme l'Arabie Saoudite, qui profite de la rente pétrolière mais où les femmes n'ont toujours pas le droit de vote. Comme le souligne Amartya Sen, le développement est aussi un processus d'extension des libertés publiques. La croissance en est souvent une condition nécessaire, mais jamais suffisante. [...]
[...] Ceci étant, lorsqu'on observe l'histoire du capitalisme, on ne peut que constater que crise et croissance sont l'envers et l'avers de la même médaille : des phases de croissance et des phases de récession se succèdent constamment. Cette alternance est particulièrement forte, par exemple, au 19ème siècle : des crises récessionnistes, au sens véritable de ce terme (la baisse du niveau de production, en valeur absolue), surviennent environ tous les dix ans. La première théorisation de cet état de fait est l'œuvre de Juglar, en 1862[i]. [...]
[...] Ces crises ne remettent pas en cause le système et permettent, après avoir résorbé les déséquilibres, la poursuite de l'accumulation. Elles n'ont rien de crises majeures mais sont nécessaires à la poursuite du processus de développement. Elles sont très liées aux cycles Juglar, caractéristiques de la régulation concurrentielle du 19ème siècle. En revanche, vient un temps où le mode de régulation atteint ses limites du fait de l'altération des formes institutionnelles et de l'exacerbation des contradictions du système que cela implique. [...]
[...] Ainsi, d'après John Kenneth Galbraith, la crise de 29 est le résultat d'un système absurde[vi] : l'économie américaine était, selon lui, fondamentalement malsaine et la crise ne pouvait qu'éclater. En effet, l'économie américaine était devenue beaucoup trop inégalitaire : entre 1919 et 1929, la productivité a augmenté de tandis que les salaires et les prix stagnaient La crise était inévitable, car une correction des déséquilibres était nécessaire : on assistait aux débuts de la production de masse, tandis que les conditions de la consommation de masse n'étaient pas réunies. [...]
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