Le 3 septembre 1939, le Royaume-Uni est le premier pays allié à entrer en guerre contre les forces de l'Axe. Comme depuis plus de 200 ans et huit conflits majeurs, il s'apprête à financer ses dépenses de guerre en majorité par l'émission de dette et par une politique de « tax-smoothing » (taxation sans heurts).
A travers trois articles parus dans les colonnes du Times, regroupés ensuite sous le titre How to Pay for the War : a Radical Plan for the Chancellor of the Exchequer (1940), Keynes s'élève violemment contre ce plan de financement. Marqué par la période d'hyper-inflation ayant suivi la première guerre mondiale, et ses conséquences dramatiques sur la production et l'emploi, il préconise le recours à la fiscalité pour financer l'effort de guerre.
Au sortir de la première guerre mondiale, au cours de laquelle 70 % des dépenses ont été couvertes par l'emprunt, le Royaume-Uni est totalement dépendant des prêts américains. Sur la période 1914-1920, les prix sont multipliés par 3,5. Pour endiguer l'inflation, le Trésor (sous les recommandations de Keynes), augmente les taux bancaires et d'imposition. En 1922, les prix retrouvent leur niveau de 1916, mais la production a chuté de 15 % et le chômage atteint 22 %. Un but important de la finance de guerre est donc d'éviter l'inflation. Pour cela, parmi les trois seules solutions viables que sont le contrôle des prix, l'emprunt ou la taxation de pouvoir d'achat au consommateur, c'est la dernière qui est préféré par Keynes. Malgré une vive opposition dans un premier temps, le Trésor britannique finira par adopter quelques-unes unes des recommandations du plan de financement keynésien, qui constitue ma première partie. Ainsi le budget de 1941 peut-il se targuer d'être le premier budget keynésien.
En 1997, Cooley, T et Ohanian, L, deux universitaires américains, publient Postwar British Economic Growth and the Legacy of Keynes, dans le Journal of Political Economy. Dans cet article, ils analysent la politique utilisée par la Grande-Bretagne pour financer la guerre, et ses conséquences sur les performances économiques de l'après-guerre. A travers deux modèles économiques sont comparés la politique suivie, la politique keynésienne dans son ensemble, et la politique de tax-smoothing pratiquée lors des conflits antérieurs.
Les auteurs cherchent à démontrer que l'Angleterre a souffert plus que nécessaire de la guerre, du fait de la politique de taxation, et que cette dernière est responsable des faibles performances macroéconomiques de la Grande-Bretagne pendant l'après-guerre. Nous verrons que leurs conclusions sont sans appel pour le plan de financement de la guerre élaboré par Keynes.
Néanmoins, il me semble que cette condamnation soit à nuancer, tant sur le plan historique, qu'idéologique ou historique. J'exposerais mes réserves dans une troisième partie.
[...] Au total, la guerre a coûté 34,4 milliards de Livres à l'Angleterre, dont ont été financé par l'impôt, le reste étant couvert par l'aide américaine et l'emprunt. Cette forte mobilisation fiscale témoigne d'une part de la richesse de la Grande- Bretagne entre-deux-guerres, et d'autre part du haut degré de civisme de sa population. De nombreux économistes s'accordent à dire que la gestion des finances publiques fut plus saine durant la seconde guerre mondiale que pendant la première, car elle reposait moins sur la dette et l'inflation. En effet, au cours de la période 1939-1943, le niveau des prix n'a progressé qu'au rythme de par an. [...]
[...] Les deux auteurs poussent plus loin leur étude et concluent que les performances relativement faibles de la Grande-Bretagne durant les trente glorieuses s'expliquent par la politique de financement de la guerre. Ce résultat m'a peu convaincu. L'Angleterre connaît une réelle période de croissance jusque dans les années soixante. A partir de là, la stagflation aura raison des politiques contra-cycliques keynésiennes, et la théorie économique se dirige vers une autre forme de pensée. Bibliographie Bean, Crafts, British Economic Growth Since 1945 : a Relative Economic Decline and Renaissance, CEPR Discussion Papers. [...]
[...] Booth, British Economic Policiy. 1931-1949: Was There a Keynesian Revolution? Bousseyrol, Introduction à l'œuvre de Keynes, Ellipses Cooley, Ohanian, Postwar British Economic Growth and the Legacy of Keynes, Delas, JP, L'économie britannique, Armand Colin Dormois, JP, Histoire économique de la Grande-Bretagne au siècle, Hachette Farnetti, L'économie britannique de 1873 à nos jours, Armand Colin Glyn, Harrison, The British Economic Disaster, Plutopress Grosser, Les pays d'Europe occidentale, La Documentation française Riches, L'économie britannique depuis 1945, Repères Vaiss, Histoire économique et sociale de al Grande-Bretagne de 1945 à nos jours, Armand Colin Le déclin de l'économie britannique de Victoria à Thatcher, Anglophonia, 1991. [...]
[...] Au début du conflit, travaillistes et syndicats veulent faire supporter l'effort de guerre par les riches. Keynes dénonce cette solution inégalitaire et grandement politique. Elle ne saurait en aucun cas être une issue au problème, car elle n'éviterait pas l'inflation, qui tournerait nettement à l'avantage des nantis. Finalement, ces derniers ne supporteraient pas plus mais moins de ce qui devrait être équitablement à leur charge. Fin 1939 est lancée par le gouvernement une vaste campagne d'épargne populaire en soutien à l'activité de guerre, qui rencontre un certain succès auprès de la population anglaise. [...]
[...] L'hypothèse d'une technologie linéaire dans le secteur du bien d'investissement suppose un produit marginal du capital constant, qui paraît incompatible avec une économie en guerre, dont le stock de capital varie fortement. La constance du produit marginal laisse à penser qu'une variation conséquente de la taxation du capital aura des effets importants sur l'accumulation du capital, ce qui conforte les auteurs dans leurs conclusions. Le choix de la période 1946-1980 ne me paraît pas innocent. Elle correspond à la période de fine tuning keynésien pratiqué dans de nombreux pays industrialisés. Et 1980 marque en Grande-Bretagne l'arrivée au pouvoir de Thatcher et d'une politique libérale. [...]
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