« Il y a eu trois grandes inventions depuis le commencement des âges : le feu, la roue, la Banque centrale. » Même si ce propos peut être considéré comme une boutade de la part de W.Rogers, il révèle néanmoins l'importance du rôle accordé à la banque centrale dans nos sociétés modernes.
En effet, la banque centrale d'un pays ou ensemble de pays (eurozone) est une institution chargée de superviser la création de la monnaie, de mettre en œuvre une politique monétaire et de veiller au bon fonctionnement des banques tant du côté de leur solvabilité que du respect rigoureux des réglementations. On leur confie donc le monopole de la mise en circulation des billets ainsi que le contrôle du crédit accordé aux autres banques. C'est pourquoi, le statut de la banque centrale est un enjeu dans la gestion de l'économie et tout particulièrement pour la politique monétaire d'un Etat puisque lorsqu'elles sont sous la tutelle du pouvoir exécutif cela signifie qu'elles peuvent financer le budget d'un Etat (planche à billet). La monnaie est un outil essentiel de gestion de l'économie dans les sens où elle renferme potentiellement une source de revenus pour financer les dépenses publiques.
Or depuis le début des années 1980, on assiste à un mouvement d'autonomisation des banques centrales dans les pays industrialisés : certaines comme la Banque de France (1993), la Banque d'Angleterre (1997) ou encore la Banque du Japon (1998) sont effectivement devenues indépendantes. Pourtant, au début des années 1980, l'indépendance des banques centrales faisait exception, seules la Fed (Federal Reserve system) et la Deutsche Bundesbank bénéficiaient d'un tel statut. A quels enjeux répond donc cette évolution ? Quelles raisons ont poussé les dirigeants à rompre avec des siècles d'histoire ?
Cependant, si l'indépendance d'une banque centrale signifie que sauf circonstance exceptionnelle, nul corps constitué (gouvernement, parlement, …) ne peut interférer dans les décisions prises par la banque centrale dans l'exercice de sa mission, on constate que l'indépendance d'une telle institution peut s'effectuer sur différents degrés. L'indépendance d'une institution monétaire n'engendre pas nécessairement la modification de son statut juridique, autrement dit une banque centrale peut toujours avoir comme principal détenteur de capital l'Etat mais doit rendre des comptes quant à sa gestion à ses actionnaires.
De plus, si l'accession à l'indépendance des banques centrales apparaît comme un phénomène généralisé au cours des vingt dernières années, il est toutefois difficilement soutenable qu'il ait été « inéluctable ». Cela signifierait implicitement que le statut d'indépendance de ces autorités monétaires résulterait d'une certaine fatalité, autrement dit que le destin de toute banque centrale était celui d'accéder à l'indépendance…(on ne peut lutter contre) Il faut rappeler que ce sont les dirigeants d'un Etat qui décident d'accorder un statut d'indépendance aux banques centrales nationales, en d'autres termes, l'indépendance de ces banques est l'aboutissement d'un choix politique. Dans ce cas, le nouveau statut des banques centrales n'est plus l'issue inévitable, une conséquence « inéluctable » mais bien le fruit d'une contingence.
En définitive, il s'agira de se demander comment l'évolution des circonstances économiques de ces 20 dernières années ont-elles conduit à un mouvement d'indépendance des BC qui paraît aujourd'hui absolu et irréversible?
Si cette évolution vers l'indépendance au cours de ces 20 dernières années est généralisée et justifiée par des enjeux historiquement datés (I), Elle n'apparaît pas toutefois comme une évolution inéluctable mais contingente, reflet de choix politiques divers(II).
[...] De plus, on appréhende l'éventuel laxisme de certains dirigeants qui pourraient être tentés de ne pas lutter contre l'augmentation des prix afin de dévaloriser la dette de l'Etat. C'est pourquoi l'autonomie réelle des banques centrales permettrait de pallier au biais inflationniste des gouvernements. Il faut donc prendre en considération la dimension subjective que permet l'indépendance d'une banque centrale : il semble plus sûr pour les agents économiques de confier à des autorités non soumise aux directives du gouvernement la maîtrise de l'inflation. Le facteur essentiel dans la gestion de la monnaie reste par conséquent celui de la confiance. [...]
[...] En conclusion, l'indépendance des Banques Centrales est apparue comme une priorité pour remplir un objectif premier, celui de la stabilité des prix. Cette évolution généralisée résulte d'un contexte particulier (inflationniste, succès des théories monétaristes ) et répond à des enjeux à la fois économique et politique. La prise de conscience de la nécessité de cette indépendance n'est cependant pas contemporaine en témoigne les alternances entre dépendance et indépendance depuis le XIXème siècle. De plus, parler d'une évolution inéluctable en économie est relativement peu adapté : si l'indépendance est apparue indispensable vu le contexte économique au cours de ces 20 dernières années, elle est le résultat d'un choix politique donc elle est voulue et décidée, elle revêt diverses réalités et de plus, bien que difficilement évaluable pour certaines jeunes BC elle n'est pas irréversible. [...]
[...] Par ailleurs, le phénomène des currency boards (système de convertibilité totale de la monnaie nationale dans une devise étrangère, le dollar), qui a pu marquer certains pays comme l'Argentine ou HongKong montre bien que l'indépendance des BC est inéluctable à condition d'en avoir les moyens puisque dans ces cas de dollarisation, les pays abandonnent quasiment toute leur politique monétaire à l'influence de la BC des Etats-Unis. Enfin, l'histoire a pu montrer que l'absence d'indépendance des BC n'a pas empêché de juguler l'inflation malgré ce statut (France entre 1983 et 1993, Japon) d'autant plus que des Banques Centrales comme celle du Royaume-Uni, beaucoup moins indépendante dans la pratique que la BCE, est efficace. L'indépendance des BC recouvre donc des réalités diverses qui tendent à atténuer son caractère d'inéluctabilité. [...]
[...] L'indépendance, oui, mais pas absolue aux yeux de certains économistes pour éviter que la politique monétaire menée pénalise les économies d'autres pays. Ainsi, il avait été voulu une révision du traité de Maastricht afin de modifier la mission de la BCE Une indépendance vis-à-vis du politique, une soumission aux marchés financiers ? Si les BC sont censées dans le contexte actuel contrôler et orienter les marchés vers l'endroit où elles comptent les amener, c'est parfois l'inverse qui se produit, c'est à dire que les Banques Centrales se laissent porter par l'euphories des marchés en période de boom, mais ce boom peut vite se transformer en bulle, et sans prudence de la BC, les conséquences peuvent être désastreuses. [...]
[...] On s'appuie en outre sur la comparaison entre les résultats des principales banques centrales indépendantes et celles qui ne le sont pas. On se rend alors compte que les pays qui ont connu l'inflation la plus basse sont ceux où les autorités monétaires étaient indépendantes, c'est-à-dire les Etats-Unis, l'Allemagne et la Suisse. En conséquence, la plupart des pays industrialisés redéfinissent progressivement leur priorité vers un retour à une hausse des prix modérés. Ces orientations nouvelles s'inscrivent évidement dans le souci de ne pas renouveler les erreurs du passé, la politique monétaire ne se donne plus comme finalité le maintien des conditions d'une croissance minimum (une faible inflation et le plein emploi) mais se fixe comme priorité absolue la stabilité des prix. [...]
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