La notion d'homo oeconomicus s'est cristallisée à l'âge néoclassique, mais déjà Smith séparait le comportement de l'homme dans la vie économique du comportement de l'homme social : ‘'Ce n'est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre repas. Nous nous adressons non à leur sens de l'humanité mais à leur amour de soi'' (La richesse des Nations). On voit alors que la science économique ne prend pas pour objet d'étude l'homo sapiens (individu considéré dans son ‘'humanité'') mais l'homo oeconomicus (individu considéré dans son égoïsme, dans son ‘'amour propre''). La théorie néoclassique, qui a systématisé le concept d'homo oeconomicus, repose avant tout sur une démarche : l'individualisme méthodologique (ce sont les individus qui sont à l'origine des faits de société). Et l'analyse économique est fondée, pour une large part, sur l'hypothèse du choix rationnel et celle de l'information parfaite (l'individu dispose de toute l'information pour faire son choix). On raisonne donc à l'échelle de l'individu, individu qui se veut être rationnel. L'individu est donc censé avoir un comportement cohérent et distingue clairement ses préférences qu'il est capable d'ordonner ; il est aussi maximisateur (il préfère plus que moins, ce qui découle de son comportement rationnel ; il veut optimiser son bien-être). On voit alors que l'on ne considère plus l'individu comme un homo sapiens mais comme un homo oeconomicus (on néglige ce qui relève du comportement collectif, telles les traditions, l'histoire, les croyances….) ; l'individu ne fait que poursuivre son propre but (il se donne les moyens d'atteindre une fin qu'il s'est fixée et ses actions sont subordonnées à cette fin). Dès lors, il va sans dire que la notion d'homo oeconomicus est réductrice, simplificatrice (puisqu'en limitant l'agent à son caractère strictement économique, au seul trait de caractère de vouloir plus que moins, elle n'est pas la réalité) ; en un mot, l'homo oeconomicus est une fiction. Mais, pourquoi avoir recours à cette fiction pour tenter d'expliquer des phénomènes économiques (qui concernent des agents réels) puisque, justement, il s'agit d'une fiction ? Le principal enjeu ne serait donc pas tant de s'interroger sur le caractère réaliste ou non de l'homo oeconomicus et du postulat de rationalité qui se cache derrière, mais de se questionner sur la pertinence des conclusions qu'il permet de tirer dans l'explication des phénomènes. Pourquoi a-t-on eu besoin de recourir à cette fiction ? Si elle s'avère nécessaire, est-elle encore fiction ? Tout d'abord, sachant que les économistes qui travaillaient (et travaillent) avec ce concept étaient (sont) conscients de son caractère fictif, il faut tâcher de voir comment on en est arrivé à la création de ce concept : qu'a-t-il révélé d'utile, pourquoi s'est-il avéré nécessaire ? De là, il convient de se poser la question de savoir si, compte tenu qu'il ne s'agit que d'une fiction, ce concept et les conclusions ainsi obtenues sont relevants, c'est-à-dire permettent de mieux comprendre, saisir et analyser le réel.
[...] Mais si l'économie est ‘'la science de l'allocation des ressources rares à usage alternatif'' (selon la définition de Robbins), encore faut-il que cette dernière se définisse un cadre d'analyse afin d'étudier comment s'opèrent ces choix, cette ‘'allocation'', ces arbitrages. Dès lors, il faut que la science économique ait un objet d'étude. Qui effectue les arbitrages dont nous parlons ? A l'évidence, ce sont les individus, les homo sapiens. Or, comment aborder l'homo sapiens ? N'est-il pas un être trop complexe pour être compréhensible ? [...]
[...] Ainsi, l'homo oeconomicus est un être fictif (on peut concevoir un être strictement économique sans toutefois le rencontrer) : ce concept ne prétend pas être vraiment réel. Il tente juste d'établir des modèles du réel (il faut donc forcément passer par une simplification). Certes, les postulats qui sont à son origine (rationalité et information parfaite) trouvent leur limite, mais sans toutefois nier totalement ce concept et détruire les modèles qu'il permet d'établir. C'est en ce qu'elle permet d'établir des modèles que cette fiction s'avère utile. [...]
[...] En effet, dans chacune de ces fonctions, les postulats mentionnés permettent de construire des outils efficaces. Par exemple, on peut construire les courbes d'indifférence d'un individu lambda (sans toutefois mesurer cardinalement la satisfaction et l'utilité) et grâce à ces postulats, on peut établir une courbe de demande : ce passage par les courbes d'indifférence permet de construire une courbe de demande sans faire appel au concept d'utilité (on se contente de chercher la relation entre le prix et les quantités demandées). [...]
[...] Ainsi l'atteste la théorie des jeux : quand bien même l'information n'est pas parfaite, les individus (en l'occurrence les prisonniers) cherchent toujours à agir le plus rationnellement qu'ils le peuvent, ils recherchent toujours leur intérêt (même s'ils auraient mieux fait d'agir autrement). D'autre part, l'homo oeconomicus est un outil d'analyse proposé et non imposé. Les postulats de rationalité, d'information parfaite, de maximisation de l'homo oeconomicus permettent de fonder un raisonnement. Ce raisonnement aboutit à des modèles cohérents si l'on accepte les postulats. Ces modèles proposent une analyse des faits empiriques (du marché), même si, en pratique, on ne les retrouve pas forcément tels quels. [...]
[...] Les énoncés ainsi obtenus ont-ils une quelconque valeur ? Mais quelle est réellement l'essence d'une théorie ? Est-ce de retranscrire la réalité ? Ou est-ce d'exister en elle-même de par son caractère rationnel ? 4 Rédemption de l'homo oeconomicus ? On pourrait dire que les modèles obtenus ne sont que pure invention. Mais si les postulats de rationalité et d'information complète s'avèrent contestables (du fait d'une incohérence interne et non pas du fait d'une simple observation empirique), déstabilisant par-là même les modèles que l'on avait établis, il convient de se demander pourquoi ce concept est néanmoins au cœur de la science économique. [...]
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