« L'économie est-elle une science dure ? ». C'est le nom sous lequel était organisé un colloque d'économistes à Paris, en 1995. Le président du colloque, en la personne d'Edmond Malinvaud a expliqué, lors de l'introduction, que l'analyse économique avait tendance à se « durcir », en se rapprochant des sciences exactes. Mais, malheureusement, elle s'était arrêtée entre le « dur » et le « mou », du fait de nombreux enjeux politiques et moraux sous jacents. Face à ce constat mitigé, on peut se demander si l'analyse économique correspond finalement à une science ou à une morale.
Tout d'abord, une science se définit comme un ensemble cohérent de connaissances relatives à une certaine catégorie de faits, d'objets ou de phénomènes, qui obéissent à des lois et qui sont susceptibles d'être vérifiés par des méthodes expérimentales. La science, de par sa nature, s'oppose à la morale, qui désigne l'ensemble des valeurs qui détermine les normes d'une société. Quant à elle, l'analyse économique a été définie par Lionel Robbins comme « science qui étudie le comportement humain en tant que relation entre les fins et les moyens rares à usages alternatifs ». Dans cette définition, Robbins utilise le terme « science » qui semble cantonner l'analyse économique à élaborer des lois, des théories, et non des normes.
Pourtant, en 1999, l'économiste Amartya SEN remet en cause la vision dichotomique qui pourrait exister entre science et morale en publiant un ouvrage intitulé : L'économie est une science morale.
Si l'analyse économique a vocation à être une science davantage qu'une morale, on peut se demander si les instruments qu'elle propose ne peuvent pas être mis au service de la morale.
L'analyse économique n'est ni une morale ni une science exacte. (I) Cependant, elle peut être un outil scientifique au service de la morale. (II)
[...] Elle dit ce qui est et non ce qui doit être : elle n'a pas de vocation normative, elle n'induit pas de jugements de valeur : elle laisse au domaine politique le loisir de choisir entre la production de beurre ou de canon. Les Néoclassiques ont donc fait le choix de la science, au détriment de la morale. L'analyse économique n'est donc plus une morale. Mais peut-elle être une science exacte ? B. L'analyse économique peut-elle être une science exacte ? L'analyse économique s'appuie sur une démarche à caractère scientifique : Le raisonnement est déductif : Les économistes observent le réel. Ils émettent des hypothèses à partir de ces observations. [...]
[...] L'analyse économique, un outil au service de la morale A. L'analyse économique ne peut s'autonomiser totalement de la morale L'analyse économique ne peut être totalement neutre. Elle est opératoire ; les conclusions des économistes influent sur la réalité économique et sociale. Par exemple, si les économistes tirent des conclusions optimistes sur la conjoncture économique du moment, cela favorise la confiance en l'avenir. Or, la confiance en l'avenir favorise la consommation au détriment de l'épargne et peut donc être un moteur de la demande et de la croissance économique. [...]
[...] Selon Keynes, c'est ce qui donne aux études économiques leur principal et leur plus haut intérêt. B. L'analyse économique peut donc mettre sa science au service de la morale Les économistes inspirent le politique. Le projet de Marx voulait aboutir à une société sans classe : il est donc porteur de valeurs morales de solidarité, reprises par les socialistes. De même, l'application des thèses néoclassiques est à l'origine du modèle libéral, qui est aussi en quelque sorte un projet de société, avec la liberté pour valeur centrale. [...]
[...] L'analyse économique peut redéfinir ses concepts pour y intégrer une dimension morale. Par exemple, François Perroux propose de renforcer la notion d'efficacité maximale en y intégrant les coûts humains, comme la lutte contre la mortalité, l'instruction, les soins médicaux et tout ce qui permet à l'Homme de mener une vie digne. Ces coûts doivent être couverts. Un système économique serait ainsi considéré efficace, non pas uniquement parce qu'il permet de ne pas gaspiller des ressources mais seulement s'il répond aux besoins fondamentaux de chacun. [...]
[...] Enfin, les postulats de base ne sont pas toujours respectés et le champ de la science économique est parfois assez flou : par exemple, les économistes de Chicago étendent ce domaine à l'ensemble des comportements humains, qui ne répondent pas forcément à l'hypothèse de rationalité, comme les choix du mariage ou du nombre d'enfants. L'analyse économique s'est autonomisée de la morale pour se revendiquer en tant que science. Mais cette science ne peut être exacte. En étudiant les comportements humains, elle place l'individu au centre. Or, les conduites de l'homme ne sont pas seulement guidées par le calcul mais aussi par des jugements de valeur. L'analyse économique peut-elle réellement faire abstraction de la morale ? [...]
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