La notation sociétale s'insère dans un champ organisationnel au sens de Di Maggio et Powell (1983). Les organisations y sont d'autant plus en quête de légitimité que c'est un champ en construction. Nous nous proposons de mettre en évidence la pertinence de la notion de champ organisationnel proposée par les théoriciens néo-institutionnels et d'analyser les mécanismes par lesquels la légitimité y est recherchée. Tout en nous efforçant d'intégrer les multiples acteurs de ce champ, nous concentrerons notre étude sur des acteurs pivots de ce champ, à savoir les agences de notation sociétale et nous prendrons à titre d'illustration le domaine de la gouvernance. Notre étude repose sur la connaissance de ce champ que nous avons peu à peu constituée au travers de nos recherches sur la responsabilité sociale de l'entreprise et sur la gouvernance et sur de multiples entretiens et observations in situ avec des membres issus de différentes fonctions et de différents niveaux d'agences de notation sociétale. Mais dans un souci à la fois de confidentialité et d'intelligibilité, nous adopterons une démarche idéal-typique : les caractéristiques des agences A, B et C qui servent de support à notre étude peuvent être empruntées à une ou plusieurs agences réelles, mais tout aussi bien peuvent ne pas exister dans la réalité.
[...] L'agence de notation sociétale est donc un acteur interorganisationnel qui s'est vite rendu indispensable au management de la légitimité d'un grand nombre d'organisations. Au-delà des notes et commentaires qu'elle attribue aux entreprises, et qui constituent des preuves sur lesquelles celles-ci peuvent communiquer, l'agence de notation sociétale participe également à la fabrication d'indices socialement responsables qui renforcent les activités de légitimation des entreprises et des gérants ISR. Pour les entreprises, l'appartenance à ces indices est un objectif affiché démontrant un engagement vis-à-vis du développement durable. [...]
[...] L'hypothèse sous-jacente (nourrie par la théorie économique néo-classique) est la suivante : la meilleure manière de maximiser la richesse de l'ensemble des parties prenantes est de maximiser la richesse des actionnaires. Cette hypothèse rarement explicitée a été exprimée clairement par l'économiste néo- classique Milton Friedman de la manière suivante : la seule responsabilité de l'entreprise est de faire des profits. Il y a donc contradiction entre la philosophie qui sous-tend le concept RSE (prise en compte les intérêts différenciés des multiples parties prenantes) et la philosophie qui sous-tend la construction de la grille d'analyse dans le domaine de la gouvernance (focalisation sur la seule protection des actionnaires). [...]
[...] En ce sens, notre article ouvre des pistes de réflexion aux acteurs des agences de notation sociétale qui pourraient leur permettre d'accroître simultanément leur légitimité et leur efficience, sans perdre leur âme. Bibliographie Brunsson N. (1985), The irrational organization, Chichester John Wiley and sons Brunson N. (1989), The organization of hypocrisy, Chichester John Wiley and sons Buisson M.L. (2005), La gestion de la légitimité organisationnelle pour faire face à la complexification de l'environnement , Revue Management et Avenir, p 147-164. Déjean F. (2002), L'investissement socialement responsable, une revue de la littérature XXIIIème Congrès de l'Association Francophone de Comptabilité, Toulouse, 16-17 mai. [...]
[...] La dynamique du champ de la notation sociétale se fonde essentiellement sur les processus d'influence sociale qui s'y opèrent. En effet, il est intéressant d'observer comment les pressions diffuses de la société se transforment en influences formalisées, qui sont ensuite reprises et réécrites par des accords de régulation qui visent à placer les entreprises sur un pied d'égalité. En empruntant les travaux issus de la psychologie sociale, en particulier ceux de Moscovici (1978), ce processus met en jeu deux types d'influences : des influences majoritaires qui développent un processus de normalisation d'autant plus partagé que les normes diffusés sont consistantes et font l'objet d'un consensus entre les différents mondes sociaux de la RSE, et des influences minoritaires qui exercent une contre-pression active et directe et polarise l'attention des acteurs sur les divergences existant à l'intérieur du champ, favorisant alors du fait de leurs efforts cognitifs des déplacements perceptifs sources de changement à l'intérieur du champ. [...]
[...] A cette question, les agences répondent en indiquant qu'elles vérifient leurs informations auprès des différentes parties prenantes de l'organisation ; principe de professionnalisme : au-delà de l'outil d'analyse, est- ce que ceux qui l'utilisent sont légitimes ? ont-ils la compétence nécessaire pour évaluer les domaines de la RSE ? Cette compétence est-elle avant tout fondée sur leur formation universitaire ou sur leur expérience ? Concernant la notation déclarative, nous pouvons plus particulièrement nous demander comment un analyste qui passe en moyenne 5 à 7 jours sur chaque entreprise notée, en s'appuyant essentiellement sur de l'information publique, peut faire un travail crédible ? Quelle est sa légitimité ? [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture