C'est un fait lamentable, mais incontestable: il n'y a pas un homme sur cent qui sache se promener. L'art de la promenade, art qui comporte toutes sortes de valeurs spirituelles, est à peu près perdu. Ce que Lao-tseu ou Marc-Aurèle entendaient par faire une promenade nous est aujourd'hui presque totalement inconnu. Et c'est dommage.
[...] Examinons un peu dans quelles conditions une promenade peut être pour nous une source de joie et d'enrichissement. Tout d'abord, il ne faut jamais se fixer un but. Si vous partez avec l'intention de vous rendre chez la cousine Paulette ou dans les grands magasins, le sentiment du devoir à accomplir rongera votre subconscient comme un ver ronge une noix. Votre sensibilité en souffrira, votre esprit s'en irritera. Donc : pas de but. Partez en promenade, un point, c'est tout. [...]
[...] Ecoutez les menus bruits que recouvre le tintamarre de la vie moderne. Ecoutez la petite chanson du moineau et le sifflement des feuilles mortes balayées par le vent. Il n'est pas de ville qui n'ait, malgré tout, son coin de ciel, ses touffes d'herbe, son parfum de terre apporté de temps à autre par le vent. Faites attention à tout cela. Apprenez à reconnaître l'odeur de l'eau qui monte des lacs ou des rivières. Méditez sur le pissenlit qui pousse entre deux pavés, sur la lumière et les ombres de l'après-midi, la fraîcheur du vent sur la peau. [...]
[...] Ce devrait être l'essence de toute promenade. Aujourd'hui, où le doute, les soucis, les angoisses ne vous manquent pas, vous n'avez qu'à tourner le bouton de votre porte pour voir s'ouvrir devant vous un monde immense. Dehors, les arbres n'ont pas cessé de porter des feuilles vertes, les rouges-gorges chantent encore et la terre est toujours douce aux pieds. Partez donc, et bonne promenade. Homme, si tu es quelqu'un, va te promener seul, converse avec toi-même et ne te cache pas dans un chœur (Epictète). [...]
[...] Ouvrez plutôt les yeux sur le monde enchanté qui vous entoure et que vous n'avez jamais le temps de regarder. Désormais, en été examiner les feuilles et en hiver l'écorce nue des chênes, des ormes et des érables. Regardez les images reflétées dans les flaques d'eau ; levez les yeux vers les dessins que les cumulus ou les cirrus forment dans le ciel. Développez votre sens du toucher, éprouvez la dureté des cailloux sous vos pieds, le moelleux de l'herbe ou de la terre. [...]
[...] Tout simplement, ouvrez la porte et sortez. La troisième condition, la plus importante, est aussi la plus difficile à remplir. Vous devez apprendre à chasser de votre esprit tous vos ennuis. Tant que vous n'y serez pas parvenu, la promenade vous sera plus nuisible qu'utile. En effet, si vous partez hanté par un souci quelconque (l'échéance de l'hypothèque sur votre maison, par exemple), le mouvement de vos jambes vous semblera bientôt rythmer un horrible refrain qui répétera inlassablement à votre oreille : Il faut payer l'hypothèque, payer l'hypothèque. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture