L'évolution des connaissances scientifiques et de la maîtrise technologique confèrent à l'Homme de plus en plus de pouvoir. Il devient possible d'agir sur la nature de l'infiniment grand à l'infiniment petit. Les nanotechnologies en sont un exemple : elles ouvrent un champ de possibilités qui ne cesse de s'agrandir repoussant sans cesse des limites qui nous semblaient, quelques années auparavant, infranchissables.
Ces découvertes scientifiques concernent également le corps humain, par l'intermédiaire des biotechnologies. La médecine fait des progrès dans les domaines de l'expérimentation, de la prophylaxie et de la thérapie, Marc Gamerre le souligne en ces mots : « La médecine actuelle se caractérise par le sentiment de sa toute-puissance, que partagent de nombreux médecins et une large part de la population » . Dans le même temps, cela amène les individus à s'interroger sur ce qu'il est légitime de faire. Jusqu'à quel point l'Homme a t-il le droit d'intervenir sur cette nature ? Jusqu'où est-il acceptable d'aller pour soigner ou pour expérimenter ? Les avis divergent et des conflits apparaissent entre ceux qui ont une « conception primitive, religieuse, factuelle et absolue » de la vie et ceux qui en ont une « conception évoluée et humaniste » . Dans le premier cas, la vie est considérée de façon sacrée, seul le phénomène vital est pris en compte, dans le second cas, la qualité de vie est considérée, le bien-être du sujet importe et « tous » les moyens disponibles pour l'améliorer doivent être utilisés.
Dans un souci de réguler les comportements, des lois ont été réactualisées et d'autres instaurées comme les Lois bioéthiques de 1994.
Révélateur de la même préoccupation, le terme« éthique » fleurit dans le vocabulaire contemporain. On parle de l'éthique médicale, de la bioéthique et toutes ces « éthiques » discutent les limites de l'acceptable au niveau de l'intervention sur le corps humain et de la recherche médicale. Yvon Englert explique l'arrivée du terme « bioéthique » de la façon suivante : « C'est dans les années 1970 qu'il est né, devant l'incapacité de la morale comme du droit de donner une réponse satisfaisante aux situations nouvelles générées par le développement des sciences biomédicales » . La création de ce terme fait suite à l'incapacité de deux modes de régulation des comportements (la morale et le droit) de trouver des réponses appropriées à des situations nouvelles. Plus généralement, plusieurs auteurs soulignent l'importance prise par l'éthique dans nos sociétés afin de réguler les comportements. Jacqueline Russ l'explique notamment par : « la faillite des sens ; la retombée des idéologies et utopies ; le triomphe de l'individualisme » . Elle met également en avant la relation existant entre les découvertes scientifiques et la mise à mal des grandes croyances : « A un moment où les actions de l'homme se révèlent grosses de périls et dangers divers, nous sommes précisément plongés dans ce nihilisme, ce rapport au “rien”, dont Nietzsche fut, au siècle dernier, le prophète et le clinicien sans égal » . Monique Canto-Sperber fait également référence au nihilisme pour évoquer l'utilisation récurrente de l'éthique : « le goût immodéré de l'éthique que connaissent nos contemporains est une figure du nihilisme » . Nous pouvons définir le nihilisme comme une étape spirituelle dans laquelle les fins manquent, lorsqu'il n'y a plus de « Tu dois ». De cette absence naît un vide. La montée de l'individualisme serait une réponse à cette perte de « valeurs supérieures » et nécessiterait de trouver des modes de régulation plus en adéquation avec notre époque.
Tout comme la médecine, le sport est fortement concerné par le corps humain, qui est la condition sine qua none de l'activité sportive. De plus, autre point commun, le terme « éthique » est lui aussi omniprésent dans ce champ culturel. Qui n'a pas entendu parler d'« éthique sportive » ? Elle est souvent employée pour réguler et légitimer les comportements des sportifs. Enfin, comme dans le monde médical, la science tient une place considérable dans les progrès réalisés par les acteurs concernés. Compte tenu notamment des enjeux médiatiques et financiers présents dans le sport actuel, la recherche scientifique et ses applications tiennent une place particulière dans l'amélioration des performances, de l'endurance à l'entraînement, de la récupération ou encore dans l'utilisation d'un matériel de haute technologie . Sur une chaîne de télévision, en 2002, Gérard Dine exposait la situation de la façon suivante : « La finalité c'est de gagner. Je crois qu'il faut être très clair, dans le sport de haut niveau, vu les enjeux et en particulier l'investissement des acteurs, on y va pour gagner, on n'y va pas pour faire de la figuration. Donc la science, autour de la performance d'un corps humain est devenue indispensable » .Ces apports exogènes sont classés selon leur nature. En effet, un apport illégal sera considéré comme étant un produit ou une méthode dopante, alors qu'un apport autorisé sera considéré comme une aide à la performance, ou encore une aide ergogénique. Comment sont prises les décisions de cette classification ? Comment sont prisent en compte les découvertes scientifiques contemporaines ?
Yves Boisvert a étudié les différents modes de régulation des comportements opérant dans les sociétés occidentales. Il les a placés sur un axe ayant comme extrémités l'hétérorégulation et l'autorégulation. La première se caractérise par une décision extérieure au sujet ou au groupe, elle est représentée de manière courante dans nos sociétés par la morale ou le droit et impose des comportements aux sujets tout en prévoyant des sanctions en cas de non-respect. L'autorégulation, au contraire, est l'utilisation par le sujet (ou le groupe) de son pouvoir décisionnel : dans ce cas, le choix est directement pris par le sujet ou le groupe, dans une situation précise, après une remise en question des normes et conduites hétérorégulées. Entre ces deux pôles, opèrent des modes de régulation laissant plus ou moins de place à l'individu pour décider de ses actes.
Comme nous le constatons en observant cet axe, la morale est le mode le plus hétéro régulateur qui soi : « Ainsi, la morale incarne bien ce que l'on entend par hétérorégulation, les normes de conduites y étant dictées par une religion, un Dieu, la Nature, l'Humanité, la Patrie ou d'autres dogmes politiques » .
Les mœurs, elles, renvoient à une légitimité du comportement plus implicite. La référence est plus proche de l'Homme, des us et coutumes de la société.
Le droit est présenté comme « le mode de régulation des comportements le plus opérant des sociétés démocratiques pluralistes » . Il impose des règles aux citoyens mais dans le même temps leur confère des droits.
La déontologie résulte de la volonté d'une population restreinte de se constituer ses propres règles. Les médecins en sont un exemple par l'intermédiaire de leur code de déontologie médicale.
Enfin, l'éthique est, comme nous l'avons déjà énoncé, le mode le plus autorégulateur qui soit recensé. Yves Boisvert souligne l'intérêt de l'éthique dans une société où les rapports entre les individus se complexifient et où il est difficile pour la morale, le droit et la déontologie de tout prévoir et de répondre spontanément à toutes les situations créées par l'interaction des individus. Lorsque Yvon Englert présente la genèse de la bioéthique (cf. première page), il ne dit pas autre chose. Le sujet rediscute les différents modes de régulation, avant de prendre sa décision, qui peut, dans certains cas, être contraire à l'hétérorégulation.
Le travail d'Yves Boisvert servira dans ce mémoire de référent théorique. En utilisant son axe, ainsi que les différents modes de régulation brièvement présentés, nous souhaitons mettre en évidence les rouages intervenant dans la régulation des comportements liés à l'intervention sur le corps humain. On s'attachera à comprendre comment est construite la limite de l'acceptable de l'apport de la science concernant le corps humain, dans le but de le réparer, le soigner, le rendre plus performant ou encore en satisfaire son « propriétaire ». Nous souhaitons décrire ces mécanismes dans les milieux médicaux et sportifs puisque dans les deux cas le corps est au centre des attentions. Enfin, nous aurons le souci de comparer et d'interpréter les différences et/ou les similitudes pouvant exister dans ces deux domaines et les principes évoqués pour justifier leur position.
[...] La consommation de médicaments est particulièrement importante chez les sportifs de haut niveau. Ainsi, lors d'une étude réalisée à l'occasion des Jeux Olympiques de Sydney par le CIO, il a été étudié après les contrôles antidopage, toutes les fiches des sportifs, où ils devaient mentionner les médicaments et les substances qu'ils avaient consommées lors des trois jours précédents. La liste s'est élevée à 38 médicaments différents absorbés lors des dernières 72 heures[20] ! Est-ce le signe d'une bonne santé ? [...]
[...] Le Code d'Éthique Sportive a été révisé le 16 mai 2001. Le conseil indique qu'il est conscient des pressions que la société moderne, marquée entre autres par la course à la réussite, le vedettariat et la médiatisation, exerce sur le sport. Dans ce contexte, il importe de fournir à tous les sportifs un cadre de référence leur permettant de faire des choix responsables face à ces pressions Ce Code veut donc permettre une autorégulation, en laissant la possibilité aux sportifs de faire des choix. [...]
[...] Tous ces événements réparent la nature et ne semblent pas poser de problème dès l'instant où ils permettent aux sujets en bénéficiant de se rapprocher de la norme Dans ces cas, les protagonistes considèrent que la qualité de vie importe et qu'il est souhaitable d'intervenir sur la vie quand celle-ci sera rendue plus confortable. Cette position n'est toujours pas celle du Vatican à propos des techniques de reproduction artificielle. Nous sommes bien là dans des visions différentes de l'apport de la science. [...]
[...] L'arrêt ou la diminution de la pratique sportive suffit en effet à retrouver un équilibre hormonal basal. Le Comité invite également les médecins du sport à identifier les pressions (financières, médiatiques, ) que le sportif pourrait subir, l'incitant à participer à un nombre exagéré de compétitions. Sans remettre en cause l'intentionnalité d'un tel conseil, nous pouvons-nous demander s'il revient au médecin de juger ces pressions. Est-ce aux médecins de faire ce travail ? Là encore, nous constatons que le CCNE propose une adaptation des citoyens à leur environnement, en faisant des choix déterminés par l'intérêt de l'individu. [...]
[...] Boisvert , Petit manuel d'éthique appliquée à la fonction publique, Montréal, Liber Ibidem., p Ibidem., p.36. Certains ouvrages traduisent ce fait dans leur titre : J. Lemaire , C. Susanne (dossier édité par), Bioéthique : Jusqu'où peut-on aller édition de l'université de Bruxelles ; C. Jasmin, L'homme futur en question derrière le miroir de la science, Paris, Lattès ; A. Comte-Sponville, L. Ferry, La sagesse des Modernes, dix questions pour notre temps, Paris, Robert Laffont D. Folscheid, La vie finissante Philosophie, éthique et droit de la médecine, Paris, PUF pp. [...]
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