« Le sentiment du devoir, voilà, en effet, quel est, pour l'enfant et même pour l'adulte, le stimulant par excellence de l'effort » (Durkheim, Éducation et sociologie, 1922).
Lorsqu'au début du siècle Durkheim attribue à l'éducation morale des vertus qui sollicitent des éléments-clé (esprit de discipline, d'abnégation, autonomie de la volonté), il pose également les valeurs de base de l'école Républicaine, qui perdureront bien au-delà de la IIIe République : en effet, l'école fait sienne ces valeurs, dans la perspective de la formation du futur citoyen.
L'éducation physique, dans la mesure où elle veut pleinement intégrer l'école, et être reconnue comme une véritable discipline d'enseignement, ne peut faire autrement que de sacrifier aux valeurs inculquées à l'école, et à la morale en vigueur. De ce fait, elle n'échappe pas à ces contraintes qui valorisent la notion d'effort et d'intérêt général, lequel passe avant l'intérêt particulier selon Durkheim. De 1880 à 1945, cette morale de l'effort est encore davantage accentuée à certaines époques plus qu'à d'autres : « Nous nous attacherons à détruire le funeste prestige d'une pseudo-culture purement livresque, conseillère de paresse et génératrice d'inutilités », écrit le Maréchal Pétain en 1941, dans un contexte où le régime précédent est accusé d'avoir délaissé des valeurs de travail et de discipline. L'EPS se voit donc attribuer un rôle essentiel dans la nouvelle révolution nationale et la régénération de la race française.
Dès lors, on pourrait penser qu'à la suite de la Libération, dès 1945, l'école en général et l'EP en particulier ont rompu avec cette discipline de l'effort précédemment recherchée. Or, si effectivement des ruptures nettes avec Vichy apparaissent évidemment (notamment dans le refus d'imposer une unique méthode, visible dans les IO de 1945), le primat de la notion d'effort est à nouveau souligné. C'est tout d'abord que la reconstruction de la France constitue une priorité nationale, et également que l'on ne se départ pas en quelques années d'une morale qui a marqué des générations et affecté les mentalités (J. Le Goff, 1974). En EPS, la notion d'effort est visible dans les IO de 1945, à la fois à travers les procédures employées, le contenu des leçons, et le programme annuel.
Mais une fois la reconstruction de la France achevée, qu'advient-il de cette notion d'effort ? Perdure-t-elle ou au contraire s'en démarque-t-on ? L'EPS tient-elle compte des mentalités qui évoluent dans la société française pour la redéfinir ? Reste-t-il un effort collectif, ou s'individualise-t-il ? Et surtout quel(s) nouveau(x) but(s) lui est affecté ?
Si l'on veut définir l'effort, il semble que la difficulté réside dans sa visibilité. Si l'effort peut être considéré comme un travail fourni, ou une mobilisation de ressources, cette mobilisation n'est pas toujours vérifiable lorsqu'elle est mentale, intellectuelle ou morale. Dès lors, sans doute peut-on vérifier l'effort fourni ou le travail produit par l'atteinte du but fixé.
Dans ce cadre, notre hypothèse s'attachera à démontrer que si la notion d'effort a toujours été présente en EPS de 1945 à nos jours, elle a basculé d'un sens collectif, avec un effort semblable pour tous, identique, et social, à une acception individualisée, avec un effort adapté à chacun, personnalisé et social. Social dans les deux cas ? Certes, mais en passant d'une reconstruction d'intérêt général à un épanouissement d'intérêt particulier.
Pour illustrer notre propos, nous montrerons dans un premier temps que, de 1945 à 1962, l'EPS est subordonnée à un effet collectif de reconstruction qui évacue le sport. Puis, dans un second temps, nous verrons que l'EPS participe à un effort collectif de rayonnement international qui privilégie le sport, de 1932 à 1981. Enfin, nous analyserons pourquoi et comment, de 1981 à nos jours, l'EPS sans occulter l'effort, lui attribue un sens différent, plus individualisé, qui utilise les APSA.
[...] L'effort demandé à l'élève est-il réellement très différent de celui exigé entre 1945 et 1960 ? Il semble que de nombreux principes antérieurs soient respectés. Ainsi, la première intention éducative définie par la Programmation de 1967 est la contribution au développement organique et foncier avec notamment la résistance à la fatigue Les buts poursuivis sont donc les mêmes qu'en 1945 et 1959, d'autant que la santé est définie non seulement comme la capacité pour un individu d'ajuster en permanence ses réactions et ses comportements au monde extérieur mais également comme la capacité de s'accoutumer à l'effort, de se dépasser soi-même (IO 1967). [...]
[...] Au lendemain de la Libération, on n'assiste pas à un retour total vers la réglementation du travail en 1936, qui avait été fixée à 40 heures hebdomadaires. La durée hebdomadaire de travail reste en moyenne largement supérieure aux 40 heures légales (O. Marchand et C. Thélot, Le travail en France, 1800-2000, 1997). Plus que le poids des mentalités antérieures (J. Le Goff, 1974), l'effort de reconstruction nécessite la participation de tous, et les entreprises françaises y souscrivent. L'école ne s'y soustrait pas, et l'EP non plus. [...]
[...] Les APSA permettent à tous les élèves de s'éprouver physiquement et de mieux se connaître en vivant des expériences variées et originales, sources d'émotion et de plaisir. Programme 6ème A une morale de l'effort utile pour la communauté s'est substituée une morale plus hédoniste, plus individuelle, qui sans occulter l'effort, vise avant tout l'épanouissement personnel de l'individu, et espère favoriser sa réussite scolaire et sociale. Former, par la pratique des APSA, un citoyen cultivé, lucide, autonome. (Programme seconde 2000). Ce citoyen est responsable de sa vie corporelle pendant la scolarité et tout au long de sa vie. [...]
[...] De ce fait, l'effort est resté collectif et opposé à la pratique sportive déraisonnée de 1945 au début des années 1960. Ensuite, sous la pression politique, mais également en raison de la prise en compte des aspirations de la jeunesse, l'effort est devenu presque exclusivement sportif, tout en restant collectif. Enfin, afin de lutter contre les inégalités, "de répondre à la diversité de la demande des élèves" (Programmes de seconde, 2000), et en congruence avec l'apparition de nouvelles pratiques sociales, mais également l'évolution des moeurs, l'effort s'est euphémisé et individualisé. [...]
[...] Les différents rapports commandés par le ministre de l'éducation nationale A. Savary (rapport Legrand pour les collèges en 1982, et rapport Prost pour les lycées en 1983) montrent la nécessité de prendre en compte la diversité des élèves, par des procédures comme le suivi individualisé, le tutorat, l'aide au travail personnel, les groupes de niveau L'EPS prend en compte ces orientations dans les IO de 1985 et 1986, puisqu'on y enjoint l'enseignant à utiliser la pédagogie différenciée. Le travail de l'élève s'individualise, d'autant que l'élève identifie les difficultés rencontrées, ses possibilités individuelles, les contraintes et exigences de la tâche a accomplir. [...]
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