Dans un article paru dans le « Monde Diplomatique » en septembre 2001 intitulé « La dernière classe sociale. Sur la Piste des nantis » les sociologues Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon adoptent un ton volontiers ironique pour battre en brèche l'idée reçue selon laquelle la société française n'est plus qu'« une énorme classe moyenne » (propos du sociologue français Pierre Bourdieu qui, dans son ouvrage Raison Pratique. Sur la théorie de l'action, remettait déjà en cause cette croyance). D'après eux, il n'existerait bel et bien plus qu'une seule véritable classe sociale : la bourgeoisie. Quelles sont les caractéristiques de ce « groupe uni » et restreint de riches individus qui permettent de conclure qu'ils constituent à eux seuls une classe sociale ? En outre, quelle stratégie cette classe met-elle en œuvre pour la défense de ses privilèges et la pérennité de son existence ?
[...] Les auteurs soulignent toutefois que la mobilité peut certes être salutaire, voire même favorisée, lorsqu'elle émane de la volonté des individus (souhaitant changer de carrière ou même commencer une nouvelle vie ailleurs) ; elle l'est beaucoup moins lorsqu'elle est imposée et suppose des conséquences fâcheuses. Ainsi, aux Etats-Unis, le nombré élevé de déménagements (comparé à la France par exemple) illustre cette différence fondamentale : certains sont bel et bien voulus, d'autres sont dus aux délocalisations dans le sud-ouest du territoire américain. Les salariés sont alors obligés de s'adapter et de déménager contre leur gré s'ils ne veulent pas se retrouver du jour au lendemain au chômage. [...]
[...] En outre, quelle stratégie cette classe met-elle en œuvre pour la défense de ses privilèges et la pérennité de son existence ? Dès le début de l'article, le ton est donné : on observe en effet une volonté patente de la part des bourgeois (les auteurs vont même jusqu'à employer le terme, péjoratif, de nantis de prendre leurs distances vis- à-vis du reste de la société, et ce afin de ne se retrouver qu'entre individus de la même classe. Il s'agit de s'éloigner le plus loin possible île dans l'île jusqu'à s'isoler complètement du reste du monde à l'abris des regards importuns Pour cela, la bourgeoisie investit des villages tels que Les Portes-en-Ré, situé à la pointe extrême de l'île de Ré attirée par le caractère calme et typique de ce petit bourg loin du brouhaha, de la pollution et du stress des grandes villes comme Paris, Lyon ou Marseille. [...]
[...] D'où l'opposition fondamentale entre ces lieux accessibles uniquement à la haute bourgeoisie qui se multiplient (les auteurs parlent de multiterritorialité) et qu'elle considère comme publics et le caractère fermé voire interdit de ces mêmes lieux à l'égard du peuple Cette multiplication ne se limite pas à l'Hexagone : bien au contraire, elle s'étend à l'étranger. La bourgeoisie française s'internationalise par le truchement des lieux de formation (comme les collèges suisses par exemple) et de loisirs (La Mamounia à Marrakech) et des milieux d'affaires. Un espace géographique apparemment sans limites se forme ainsi au profit de la bourgeoisie, ce qui n'empêche pas une homogénéité essentielle reposant sur un même mode de vie, une même conception du monde et la défense d'intérêts en commun. [...]
[...] Il s'agit d'entretenir le statut, le prestige conféré uniquement par le nom. Les auteurs illustrent ces propos par un filet qui représenterait tous les descendants d'une famille de renom. Si l'un des descendants, de par son comportement, n'assure pas le rang de la famille, le maillon peut se détacher et le filet se déchirer complètement : le prestige de la famille toute entière est alors entaché de manière plus ou moins inexorable. Face à cette extrême fragilité et à cette menace permanente qui pèse sur le nom, la solidarité au sein de la famille solidarité des générations devient un enjeu fondamental. [...]
[...] Ce phénomène est étudié plus en détails dans l'ouvrage de Stéphane Beaud et Michel Pialoux où il est notamment affirmé que les ouvriers d'aujourd'hui ( ) sont isolés, atomisés, souvent privés de moyens de défense collective cette dernière a mis en place une véritable stratégie de domination (évidemment niée comme illégitime par les principaux intéressés) : en s'appropriant des lieux privés qui lui sont strictement réservés, mais aussi en investissant des lieux publics et en favorisant par-là même des inégalités profondes (car à l'origine de la différenciation dans la gestion par l'Etat de ces lieux en fonction des individus), la bourgeoisie assure sa cohésion et la défense en commun de ses privilèges, même si pour cela elle doit manier (il faut bien l'avouer, judicieusement) l'hypocrisie et la mauvaise foi dans le discours de ses représentants. [...]
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