Les théories politiques modernes qui se placent dans le contexte d'un État de droit démocratique insistent sur la notion de citoyen, qui est le point de départ de l'identité collective et donc de la cohésion sociale. Mais la principale difficulté demeure : comment réaliser l'inscription de l'individu dans la communauté politique, c'est-à-dire en faire un citoyen ?
L'intégration par l'économie est une réponse à cette question, mais soulève également, notamment depuis une décennie, de nombreuses critiques. Pourtant, on peut avancer la thèse que le travail est autre chose qu'une simple activité économique. Il suffit de considérer la perte d'emploi, qui est ressentie de manière très négative, non seulement à cause de la baisse de revenu qu'elle entraîne, mais aussi par l'exclusion sociale et parfois politique qui en sont la conséquence. Les enjeux du travail, et de l'absence de travail, ne sont pas strictement économiques ; en effet, le travail est lieu d'imbrication des principales dimensions de l'activité humaine : individuelle, mais aussi collective, économique, mais aussi politique. En ce sens, la valeur travail permet la transition de l'individu vers le citoyen et la réconciliation de ces deux notions, demeurant le principal fondement de la citoyenneté dans ses dimensions économique et sociale, qui sont indissociables du politique. Mais c'est également le cadre où la notion de citoyen est mise en péril, dès lors que la fonction d'intégration de la valeur travail ne fonctionne plus.
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[...] Ainsi, la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions traite au chapitre IV de l'exercice de la citoyenneté, essayant de briser le lien entre exclusion et perte de citoyenneté : cette loi vise notamment à faciliter le vote des sans domicile fixe en leurs permettant d'être domiciliés dans des associations d'accueil. Cette domiciliation rend également possible une demande d'aide juridictionnelle, ce qui permet à ceux qui en sont bénéficiaires de saisir la justice comme tout autre citoyen. Au couple valeur-travail et civisme vient donc se greffer une autre notion, celle de démocratie. Or, lorsque l'on ajoute ce troisième terme, l'idée selon laquelle le non-travailleur pourrait s'impliquer plus que le travailleur dans la vie politique et exercer pleinement ses droits civiques est contredite par les faits. [...]
[...] Les inutiles au monde Cette expression de Robert Castel[6] semble avoir échappé à son propriétaire, sans doute parce qu'elle présente à la fois un résumé saisissant de l'exclusion sociale, et une image que la poésie de la périphrase teinte de romantisme. La société serait duale, distinguant les travailleurs et les autres en deux catégories nettement séparées. Cependant, l'analyse de l'exclusion est également un problème sémantique : employé de manière non rigoureuse, le terme d'exclusion sociale ne permet pas une description efficace de la situation. En effet, dans la catégorie les autres nous pourrions placer aussi bien les chômeurs, les prisonniers, les handicapés moteurs ou mentaux, les étudiants, les femmes au foyer, les retraités etc. [...]
[...] Ce point de vue s'inscrit dans une logique libérale de déréglementation, mais on le trouve également dans des projets d'allure plus généreuse : ainsi pour Jean-Marc Ferry, l'allocation universelle permettrait de développer des secteurs sociaux non rentables, par une plus grande rentabilité des secteurs productifs. L'idée commune reste qu'il faut renoncer aux rigidités du schéma traditionnel. D'autre part, une définition plus sociale dans laquelle la conception de l'activité repose sur des raisons sociales, qui en font une nouvelle forme de bénévolat. Cette occupation, même non salariée, permettrait d'éviter la rupture du lien social et le passage à une citoyenneté passive qu'implique le chômage. Ainsi, la relation d'interdépendance avec les autres demeure, et on maintient l'utilité sociale des individus concernés. [...]
[...] On peut se demander s'il ne s'agit pas ici d'une justification du chômage, que l'on définit comme du temps libéré. Cependant, ces analyses mettent l'accent sur l'évolution d'un tiers secteur, dit d'utilité sociale (ou économie solidaire Mais on retrouve alors un problème déjà vu précédemment : il y a de fortes chances que ce tiers secteur remplisse alors la fonction de soutien social moins onéreux que l'État providence, ou devienne un moyen de pression pour diminuer les salaires et les garanties des autres secteurs. [...]
[...] Cit p.30 Op. cit. Dominique Schnapper, Op. Cit., p. [...]
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