L'objet de notre étude est sociologique. Il nécessite donc un travail de terrain qu'il ne nous a pas été permis de réaliser cette année, compte tenu de la réforme LMD.
Notre étude se limitera donc à une préparation à un travail plus approfondi qui comportera un « terrain » que nous réaliserons en Colombie.
Néanmoins, étant mariée à un Colombien dont les parents, résidant en Colombie, ont une employée domestique « à demeure », j'ai pu observer, de manière informelle lors de mes visites à ma belle-famille, le rapport liant ma belle-mère à son employée. J'ai eu plusieurs discussions à propos de ce thème avec elle et avec mon conjoint, qui a toujours vécu avec une employée à la maison. Même si cette observation manque de rigueur méthodologique elle m'a permis néanmoins de dégager quelques aspects essentiels de la question et ceci d'une manière spontanée, compte tenu de ma proximité avec les membres interrogés.
En Colombie, les 10% les plus riches ont un revenu 20 fois supérieur au revenu des 10% les plus pauvres .
Comme ailleurs, les mondes sociaux sont segmentés et les interactions dans la vie quotidienne et privée ne sont pas très nombreuses entre les classes les plus aisées et les classes les plus pauvres.
Pourtant, la relation établie par le travail domestique entre l'employé et son employeur semble un laboratoire capable de relever de ce rapport entre les deux extrêmes de l'échelle sociale. En effet, comme dans la plupart des relations de travail, la hiérarchie impose une distance sociale significative. Seulement là où elles se limitent au lieu d'exercice de la profession, dans le travail domestique, la relation employeur-employé s'établit au sein même de la sphère privée et quotidienne.
Méprisé socialement, ce métier si particulier semble ignoré scientifiquement. En effet, alors que la domesticité est la première ou deuxième source d'emploi féminin en dehors du secteur agricole, les travaux la concernant sont 10 à 20 fois moins nombreux que ceux sur les ouvrières.
Pourtant, il s'agit d'un groupe professionnel dont les particularités et exceptions en font un groupe « à part » dans le monde du travail.
Il s'agit d'un rare cas où ce rapport s'établit entre deux femmes dans un espace privé, et où le travail produit n'est pas destiné à un marché, mais directement consommé par l'employeur. Enfin, l'aspect concret des tâches à accomplir et le caractère « honteux » du rapport au Sale rendent cette activité encore plus spécifique.
Toutes ces caractéristiques font des employées domestiques un objet sociologique pluridisciplinaire très riche qui peut intéresser aussi bien la sociologie de la famille que la sociologie du travail.
Nous nous intéresserons plus particulièrement à la relation liant l'employée domestique à sa patronne en Colombie, où comme partout dans le monde, les employés domestiques sont majoritairement des femmes .
Il s'agit d'une relation de subordination dans laquelle les deux parties sont des femmes partageant un même « foyer » clos. Complexe et ambiguë, la relation patronne-employée domestique mêle l'affectif et le subjectif ce qui lui donne un caractère spécifique que nous allons tenter d'analyser.
Dans une première partie, nous définirons les caractéristiques générales du travail domestique qui en font un métier si particulier. Il s'agira également de donner une perspective historique au travail domestique afin de percevoir les changements et les continuités du métier, en étudiant le cas des Bonnes en France au XIXème siècle et celui de l'évolution du travail domestique en Colombie depuis la Conquête.
Dans un second temps, après avoir exposé une brève typologie des différentes formes de travail domestique en Colombie, nous nous consacrerons à l'étude de la relation interpersonnelle, en analysant les différents schémas de domination observés. Nous tenterons de dégager les mécanismes mis à l'œuvre dans cette relation qui pourraient être à l'origine du maintien de l'inégalité dans la relation.
[...] Notre objectif n'est pas ici d'avoir des chiffres authentiques. On pourra retenir qu'il s'agit d'une proportion non négligeable de la population en terme quantitatif. Mais surtout, il s'agit d'un cas très particulier dans laquelle la relation patronne –employée domestique semble la plus inégale et où la domination exercée par la patronne est la plus manifeste Une étrangère parmi nous : paradoxe de la relation patronne- employée domestique Dans cette partie, nous nous concentrerons sur le cas des employées domestiques à demeure en Colombie, car il apparaît comme celui où la relation de domination et d'inégalité est la plus forte. [...]
[...] De la même manière, on peut imaginer qu'elles attendent beaucoup l'une de l'autre. La patronne, que son employée non seulement fasse son travail, mais également qu'elle le fasse selon les envies et les habitudes de ceux à qui le travail est destiné, c'est-à-dire selon le goût de la patronne, qui s'en fait le porte-voix. L'employée à son tour attend de sa patronne une reconnaissance de son travail, une protection (surtout dans le cas des employées internas) et surtout un respect du contrat de travail[10] préalablement établi entre les deux femmes. [...]
[...] Signe ostentatoire de richesse ou nécessité, le fait d'avoir un ou plusieurs esclaves constitue une norme à cette époque en Colombie. Il n'est pas rare de compter quatre ou cinq esclaves à temps plein dans les grandes maisons bourgeoises antioqueniennes de l'époque avec une cuisinière, une nourrice ainsi qu'une lavandière. Avoir des esclaves était considéré comme un bien commun, une norme sociale. Après l'Indépendance et l'abolition de l'esclavage, la récupération des terres indigènes par les riches propriétaires terriens conduit un grand nombre de communautés à émigrer vers les villes à la recherche d'un emploi. [...]
[...] On retrouve ici le rôle de l'affectif dans la relation patronne-employée domestique. Cette appellation est naturelle, même s'il s'agit d'un code dans la mesure où elle est un symbole derrière lequel se cache l'information de la subordination, elle se met en place sans que la patronne ait besoin d'en énoncer les règles. L'usage de la parole semble lui aussi codifié. Ainsi, on imagine qu'une conversation est rarement engagée par une employée domestique alors que la patronne décide à tout moment de commencer un bavardage avec son employée. [...]
[...] Malgré l'oppression et la domination qu'ils subissent, les employés domestiques du XIXe siècle ne sont ni organisées politiquement ni révoltées. La solidarité est étrangère aux gens de maison, ce sont de grands enfants indifférents, ils n'ont pas le sens des revendications collectives Gaston Picard, directeur de la Chambre syndicale des gens de maison (Anne Martin-Fugier, La place des bonnes, Paris, Grasset) Aujourd'hui encore, il s'agit du groupe professionnel le moins syndiqué, même si en Amérique latine surtout on voit émerger de plus en plus de mouvements de défense des droits des employées domestiques Les origines du travail domestique en Colombie Dès l'époque coloniale, les populations indigènes sont la réserve de main-d'œuvre du service domestique des Espagnols. [...]
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