Les conflits et les mobilisations collectives liés au travail occupent toujours une place primordiale dans nos sociétés.
Certains auteurs comme Habermas pensaient que la modernité allait de pair avec la « fin des sociétés fondées sur le travail ». Or, la modernisation des sociétés occidentales n'a pas eu pour effet l'hyper-réduction voire l'inhibition des mobilisations collectives ou des conflits du travail. La vague de contestation sociale que connaît un certain nombre de démocraties, comme celle de la France, depuis le milieu des années 1990 (mobilisation de novembre-décembre 1995) indique clairement que le temps des luttes collectives liées au travail est encore loin d'être révolu. Les actions collectives actuelles consacrent le retour des préoccupations d'ordre économique et social sur le devant de l'actualité. Les thématiques de la précarité, du chômage de masse et de l'exclusion sont mises en avant. La société est à nouveau régie par le concept de « classes sociales ». Les mobilisations collectives actuelles s'autodéfinissent comme l'expression de classes, de catégories socioprofessionnelles. Ainsi, les conflits « matérialistes » se trouvent au centre même des mécanismes qui jouent sur l'évolution des sociétés modernes.
Certaines approches sociologiques placent le travail au centre de l'analyse des conflits sociaux et du groupe mobilisé. La relation « travail, conflits sociaux, mobilisations collectives » est dynamique. Ces concepts interagissent. Cette relation tripartite pose plusieurs questions et appelle plusieurs réorientations.
Quelle place occupe le travail dans les conflits sociaux ? Comment expliquer l'émergence de classes sociales ? Celles-ci tendent-elles à disparaître sous l'impulsion de la modernité économique ? Comment passe t-on d'un rapport de force entre classes sociales à une mobilisation collective ? Quelles sont les valeurs qui régissent les mobilisations collectives ? Sont-elles rationnelles ou répondent-elles à des valeurs davantage culturelles, identitaires liées à l'affect, à l'éthique ?
Nous tenterons d'apporter des éléments de réflexion à ces questionnements.
[...] Avant cette période, le rapport entre la grève et le contexte économique reposait sur des pratiques de partage des gains de productivité, de redistribution, mais il n'impliquait jamais une intervention des salariés au niveau de la gestion et de la décision économique Avec la modernité, l'intervention des salariés dans le conflit se fait sur des enjeux et des revendications qui ne se définissent plus selon des cadres économiques très généraux, mais en terme de gestion : gestion de l'entreprise, gestion de l'emploi. Les principes qui animent les luttes sociales se définissent en termes de décision et de pouvoir. Les revendications sont liées à la compétence gestionnaire, à la culture professionnelle. [...]
[...] Gubbels [1962] dans ses travaux illustre bien cette complexité des mobilisations collectives liées au travail. Selon lui la grève est un acte par lequel un groupe social manifeste à la fois sa solidarité interne et sa désolidarisation par rapport au reste de la société. Cette manifestation se traduit généralement, mais pas nécessairement, par un arrêt concerté du travail. Le groupe social y recourt afin d'exprimer une volonté, un mécontentement ou une opinion, dans les cas où il ne trouve plus d'autre moyen pour influencer les décisions à prendre en cette matière L'évolution des sociétés industrielles occidentales rend plus nécessaires qu'autrefois certains procédés de lutte, tels que la grève. [...]
[...] Dahrendorf[10], les sociétés modernes restent caractérisées par l'inégale distribution de l'autorité, au sens wébérien du terme, entre les individus et entre les groupes sociaux au sein des diverses institutions (entreprises, associations Mais ces inégalités ne trouvent pas leur origine dans la propriété des moyens de production comme le pensent les marxistes. Elles résultent de la capacité de certains groupes à exercer une domination légitime. Par ailleurs si ces rapports de domination sont à la source des conflits, ceux-ci ont perdu de leur violence et se sont institutionnalisés. Pour le sociologue S. Mallet[11], le travail est une valeur qui a profondément évolué. [...]
[...] Dans les années 1960-1970, Dahrendorf constate que le travail et les diverses attributions qui y sont associées dominent de moins en moins l'existence du travailleur industriel, dont la personnalité sociale est influencée par des attributions nouvelles [1972]. Aujourd'hui, les nouvelles formes d'emploi, la réduction du temps de travail et le sous- emploi, qui se sont généralisés dans bon nombre de pays industrialisés, ont entraîné le déclin des conflits classiques issus du salariat. Les conventions qui régissent les nouvelles formes d'emploi, s'accompagnent d'une dispersion extrême des collectifs. Les démocraties contemporaines font, de plus en plus, la promotion de l'individualisme. [...]
[...] L'ampleur des pratiques d'individualisation marque en profondeur l'essence des rapports sociaux. Le travail n'est plus le lieu de socialisation des individus. Il ne permet plus de produire des classes sociales ainsi qu'une échelle unique de stratification sociale. Le travail ne corrèle plus les sujets entre eux. La portée des conflits du travail dans les processus de transformation sociale est atténuée. De nouveaux modes d'action collective prennent le relais. Cependant, certains analystes contestent ce point de vue. Même lorsque le salariat est fracturé, il est capable de se mobiliser. [...]
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