Un thème vague, et surtout très ouvert. Il s'agissait donc d'être confrontés à des catégories socioprofessionnelles auxquelles des étudiants en gestion n'appartiendraient sûrement pas. Il fallait étudier un emploi de service déqualifié. Dès lors le choix était large, et nous avons opté pour la gardiennerie. D'une part parce qu'il correspond parfaitement au sujet, d'autre part, et surtout, parce que nous côtoyons des concierges tous les jours, sans pour autant nous intéresser aux personnes qu'on appelle ainsi. En somme, il nous a semblé que nous les connaissions mal.
Trois gardiens : une jeune femme d'origine portugaise, Maria, une jeune femme française, Françoise, et un homme mûr d'origine portugaise. Nous avons tous des préjugés, et en tentant d'analyser leurs histoires, par des comparaisons et des recoupements, nous avons tenté de déterminer concrètement, au-delà des prénotions, les personnalités des concierges. Et justement, un premier préjugé, le plus évident, veut que les gardiens soient des concierges. Ils se sont avérés bavards, certes, mais pas à propos des autres, à leur sujet car ils semblaient ravis de pouvoir raconter leurs histoires au lieu d'entendre celles des autres. Nous nous attendions à être éconduits étant donné le thème choisi, et pourtant nous étions les plus génés. Précisons que l'objectif n'est pas de dériver au pamphlet, mais simplement de comprendre, avec nos outils d'analyse, ce milieu social improbable.
Le thème abordé durant les entretiens est celui du rapport du travail avec les phénomènes d'exclusion et d'intégration, et notamment parce que deux des personnes étudiées sont d'origine étrangère. En effet, lorsque l'on pense à un emploi déqualifié, on arrive souvent à la notion de précarité, du travail et des conditions de vie, qui sont, avec la solitude, les principaux facteurs d'exclusion. Ensuite, et particulièrement dans nos sociétés occidentales, il est difficile de concevoir que l'on puisse être satisfait, sinon fier, d'exercer un tel métier.
Un premier axe d'analyse sera donc, après avoir brièvement présenté les conditions de travail des gardiens et les prénotions qui lui sont associées, de déterminer comment ceux-ci estiment leur situation. Car la déconsidération étant un premier facteur d'exclusion, il s'agira de savoir si la déqualification est synonyme de dévalorisation, tant extérieure que personnelle.
Ensuite, un second axe consistera en la détermination de l'influence de la sphère professionnelle sur la sphère privée. La question sera de déterminer si l'exercice d'un emploi déqualifié, à cause des conditions de vie difficiles qu'on lui associe généralement, prive l'individu d'une vie privée riche et le confine dans une certaine solitude sociale, en enfin si cet emploi détermine la vie sociale du gardien.
[...] Il y a pas mal de personnes âgées dans l'immeuble [ . ] j'ai envie de consacrer un peu de temps à tout le monde [ . ] j'aime bien aider les gens, j'ai un cœur confie Maria. Le gardiennage, bien que dévalorisé dans le système de valeurs de notre société, semble avoir un rôle social. Au moins, il en a un pour les gens qui l'exercent. Ainsi les gardiens, parce qu'ils se sentent utiles, en tirent une considération personnelle. [...]
[...] Ils se rendent nombre de services, mais leurs rapports sont amicaux. Son comportement semble l'inverse de celui de Maria, puisqu'elle ne cherche pas à pénétrer d'autres milieux sociaux, et en particulier les milieux aisés qu'elle considère comme irrévérencieux. Ce dernier axe d'étude qu'est l'influence de la sphère professionnelle sur la sphère privée a mis au jour certaines contradictions et oppositions entre les individus. Pourtant, s'il est logique de penser que, quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle étudiée, le métier influence nécessairement la vie privée, notamment par l'importance du niveau de vie, il n'est pas certain que l'exercice du métier de gardiennage ait des conséquences défavorables sur la vie sociale. [...]
[...] Habiter sur son lieu de travail : et la vie familiale ? Le gardiennage d'immeuble est l'un des seuls métiers où l'employé peut être amené à vivre sur place. Dés lors, même lorsque leur journée est terminée, les gardiens (c'est le cas ici) sont encore au travail et peuvent donc être dérangés par les habitants à toute heure du jour ou de la nuit. On est amené à se demander comment ils réussissent à organiser leur temps de travail pour allier vie familiale et professionnelle. [...]
[...] Des fois les gens laissent les mouchoirs, les mégots par terre et pensent que je suis là pour ça. Des fois je pense que les gens ne reconnaissent pas très bien l'effort que je fais pour eux [ . ] Je suis fière de ce que je fais, je n'ai pas honte. Ce n'est pas parce que je nettoie que je ne suis pas fière de mon boulot, c'est bien, on a besoin de tout dans la vie ! reconnaît Maria ans, gardienne dans le 17e parisien. [...]
[...] C'est l'inverse qui se produit, d'une part grâce à leur rôle de lien social au sein de l'immeuble, et d'autre part parce que leur travail n'est pas tout. En effet on a observé que leur vie privée est au moins aussi importante que leur vie professionnelle : ils ont une vie équilibrée. Et même si les préjugés dont les gardiens sont victimes tendent à les stigmatiser et à les marginaliser, on peut tout de même se demander quelle serait leur vie sociale sans ce métier. Françoise : Ils n'aiment pas qu'on montre qu'on rigole . qu'on est bien . qu'on est mieux qu'eux quoi. [...]
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