A première vue, j'avais l'impression que pour l'équipe éducative c'était normal que certaines filles fuguent. La répétition des fugues me donnait l'impression que fuguer était devenu banal, normal pour ces adolescentes. Or avec mon regard de stagiaire ne connaissant pas cette population, fuguer n'est pas normal. Je me suis retrouvée confrontée à une sorte d'angoisse, alors que notre mission est de protéger ces adolescentes, nous les laissions en danger en ne se préoccupant pas trop de ces fugues. J'oscillais donc entre un sentiment d'impuissance et un sentiment d'inquiétude.
Mon questionnement a alors émergé. Je sais très bien que l'on ne peut pas les retenir, les attacher pour les empêcher de fuguer. Les questions que je me suis posées sont : Que faire ? Comment éviter qu'elles se mettent en danger ? Que font-elles pendant leurs fugues ? Où vont-elles ? Mon sentiment était que tout ce que l'équipe éducative mettait en place en cas de fugue, c'était prévenir la gendarmerie pour couvrir sa responsabilité. Mais que faire d'autre ? J'avais l'impression de toucher aux limites du travail éducatif.
La question du sens de leur fugue m'interpelle également. Pourquoi fuguent-elles ? Quel sens cela a pour elles ? Quel sens y met l'équipe éducative ? Que peut faire l'équipe ?
La situation de fugue fait qu'un dilemme s'installe. Pendant que les adolescentes ne sont pas au foyer, que pouvons-nous faire pour elles ? On ne peut les contraindre à rester, ni travailler avec elles, si elles ne sont pas là. Je pense que le risque est de baisser les bras et j'avais l'impression d'être impuissante, puisque si elles ont décidé de partir, elles partiront. Comment les accrocher ? (...)
[...] L'adolescence est donc un passage difficile. Il est encore plus difficile pour les jeunes placés en institutions, dont l'histoire est souvent chaotique et dont la construction de l'enfance est parfois inachevée. En effet, la plupart des adolescentes accueillies à la MECS ont vécu des situations traumatisantes, et souvent les relations précoces parents enfant n'étaient pas structurantes. Etant donné qu'à l'adolescence se rejouent les conflits infantiles, les jeunes que nous accueillons se trouvent perturbés et vivent d'autant plus difficilement cette période. [...]
[...] Les adolescentes que nous accueillons ont pour la plupart des carences éducatives et affectives profondes. Si je leur manifeste trop d'attention cela risque de les faire fuir (d'où la fugue), elles se sentiront menacées par ce trop d'affect qu'elles ne sont pas habituées à recevoir. Certaines jeunes filles peuvent fuguer parce qu'elles se sentent trop investies au foyer et ceci leur fait peur. Ainsi, trop ou pas assez d'affects viennent mettre en péril la relation éducative, voire même l'éducateur ou la jeune. [...]
[...] Plus qu'un chantage, la fugue devient alors un moyen pour arriver à leurs fins. La situation d'Alexandra Alexandra est une jeune fille qui vient d'avoir 16 ans. Ses relations avec sa mère sont devenues conflictuelles à tel point qu'un placement est devenu nécessaire. Sa mère s'est mise en ménage avec un jeune homme de 19 ans et Alexandra accepte difficilement leur relation compte tenu de la proximité de l'âge qui existe entre ce jeune homme et elle. Le fait que Madame tombe enceinte est venue amplifier les difficultés relationnelles entre mère et fille. [...]
[...] C'est le fonctionnement du foyer qui qualifie ces actes de fugues, mais dans les faits ce ne sont pas de vraies fugues. Le dispositif qualifie ces actes de fugues, il globalise en réalité différents comportements. Voici la description de comportements que je pourrais qualifier de fugues à part entière Si je fugue c'est parce que j'ai une bonne raison ! Ce sont des fugues pour lesquelles les jeunes pensent avoir une bonne raison de partir. D'ailleurs quand elles sont dans cette situation, elles sont capables de nous expliquer leur motif de fugue (avant de partir, ou en rentrant). [...]
[...] Puis je l'interroge sur sa fugue en lui demandant si cela lui a permis de régler ses problèmes. Elle me répond non et ajoute même que ça les a amplifiés étant donné que sa mère s'est inquiétée et le foyer aussi. Je lui ai alors demandé comment elle aurait pu réagir autrement qu'en fuguant ? Et que peut- elle faire pour améliorer ses relations avec les filles ? Tout en lui rappelant que nous étions présents pour réguler les problèmes du groupe et que nous en avons déjà parlé avec les autres filles lors d'une réunion de groupe et en individuel avec certaines d'entre elles. [...]
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