L'ouvrage d'Anne-Marie Marchetti est le résultat de l'enquête sociologique qu'elle a menée sur les détenus condamnés, en grande majorité, à perpétuité. Tous sont au moins des « longues peines ». Ses objectifs sont triples : essayer de faire une synthèse de l'appréhension qu'ont les « longues peines » de leur vie en prison, de leur peine et du milieu carcéral et judiciaire ; tirer de ces éléments une appréciation de l'efficacité et du sens des condamnations à de longues peines de prison ; contribuer à une meilleure connaissance du quotidien carcéral et de la nature de ces hommes qui sont « passés à l'acte » et qui ne sont par pour autant l'incarnation du mal. Ce dernier jugement, bien qu'il dépasse largement le cadre strict d'une enquête sociologique, n'est pas l'expression d'un angélisme simple voire « facile » dans la mesure où l'auteur a été victime dans son enfance de violences sexuelles graves. Ainsi cherche-t-elle aussi à se confronter, par son enquête, où apparaissent entre autres des délinquants sexuels, à la figure du criminel ou de l'agresseur. Cette implication personnelle, exprimée ouvertement par l'auteur, explique les nombreuses notations subjectives présentes dans l'ouvrage...
[...] La vie en prison devient tout son monde à l'exception des coups de téléphone et des visites, pour lesquelles on abandonne l'habituel laissez-aller vestimentaire de la prison. Le désir de la liberté n'a alors plus qu'une véritable incarnation, la distance que le détenu prend soin de garder vis-à-vis de l'AP dans son ensemble. Plus que jamais, à ce moment-là, il s'agit de faire usage de la part de liberté qui demeure et ne pas pactiser avec l'institution. A cette distinction nous-eux, les détenus attachent autant d'importance et sans doute autant de prix que les surveillants. [...]
[...] C'est là sans doute le paradoxe qui habite les condamnations à de longues peines, s'il est vrai que celles-ci doivent déboucher sur une réinsertion : par leur longueur même elles rendent presque impossibles pendant une large partie de la peine la projection vers l'avenir. Cette contradiction est au cœur du processus de libération conditionnelle pour les longues peines : le temps venu de la libération conditionnelle, il faut l'avoir préparé auparavant, à un moment où elle n'était encore qu'une pure virtualité et que vivre autour de cette virtualité, c'était comme refuser de se rendre vivable la détention en la confrontant constamment à un extérieur désiré mais trop lointain. [...]
[...] Mais il nous ne semble peu équitable de réduire l'incitation au développement d'un projet personnel à cet intérêt objectif. De plus, il nous apparaît peu pertinent d'y voir comme l'auteur l'incarnation d'une obligation propre à notre époque d'utiliser son temps, y compris en prison, de sorte à obtenir au mérite de la Justice sa libération conditionnelle, de même que les œuvres peuvent être une forme de condition d'effectivité de la Grâce divine. Outre le caractère schématique de cette analyse, il n'en demeurerait pas moins que la capacité à se projeter est un bon indicateur de l'activité du détenu et donc de sa capacité à retrouver une existence indépendante et n'ayant donc en cela rien à voir avec un paradigme de l'activité censé être propre au capitalisme. [...]
[...] Il l'était enfin de rappeler les conditions de vie dans les prisons et la maigreur des moyens disponibles pour organiser pendant la détention un véritable suivi et des formations réelles. Reste néanmoins en suspens une question : dans quelle mesure l'emprisonnement, par la passivité qu'il suppose, n'est-il pas contradictoire en lui-même avec la réinsertion ? La poser, c'est mettre l'accent, pour les peines de toute durée, sur le risque de la prison : la désocialisation. L'auteur abonde en ce sens et s'indigne du caractère violent et exagéré des réquisitoires. [...]
[...] Bien souvent ce projet reste à l'état de virtualité quant à ceux qui arrivent à le mettre en application, ils constatent souvent bien vite que la fuite permanente de l'évadé ne correspond pas vraiment à la liberté rêvée. Reste alors, si l'on est repris ou que le projet n'est pas mis en application, à continuer de rêver de la liberté ou à songer à une évasion définitive, le suicide, pensée bien souvent présente, ne serait-ce qu'au titre d'échappatoire suprême et inaliénable. Les années passant, le souvenir et le désir de liberté perd de sa vivacité. Ils demeurent tenaces mais le quotidien de la prison a pris le dessus. [...]
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