L'ambition de S. Beaud et M. Pialoux demeure donc avant tout d'éprouver dans les faits la validité de ces intuitions. C'est ce vaste projet que concrétise ici cette longue étude effectuée entre 1983 et 1995 aux usines Peugeot de Sochaux – Montbéliard (qui forment, avec plus de 20000 salariés, le plus gros complexe usinier de France). A contrario du sentiment commun, et en dépit de la modernisation des ateliers et modes de production, ils vont s'attacher à montrer que les conditions de vie à l'usine et les rapports au travail entre ouvriers demeurent encore marqués par la précarité, par la pénibilité et surtout par l'expression d'un véritable désenchantement (cet aspect essentiel sera cependant écarté ici en raison de l'orientation problématique choisie). En revanche, les auteurs confirment la fracture générationnelle qui déchire actuellement le groupe ouvrier (I), l'illustrant notamment dans le jeu d'oppositions frontales entre « les vieux et les jeunes », entre les OS et les techniciens, et même entre les ouvriers et leurs enfants. De fait, cette fracture participe aujourd'hui du processus de déconstruction d'un groupe ouvrier dont le déclin apparaît irréversible (II). C'est tout un monde qui s'éteint et sur lequel les auteurs ont tenu à porter un dernier et vibrant témoignage...
[...] Cette responsabilisation se manifeste également par l'exigence d'une attention accrue aux erreurs éventuelles des autres opérateurs : pour fonctionner, le nouveau système de travail exige [ . ] les rappels à l'ordre des déviants par les membres du groupe eux-mêmes, lesquels tendent dans un tel système à être impitoyablement marginalisés (p. 39) bouleverse les mentalités et suscite une rupture comportementale avec les générations d'ouvriers antécédentes. Avec la fin du taylorisme, ce ne sont pas seulement les conditions de travail qui sont transformées (le passage de l'usine de carrosserie au grand atelier moderne Habillage Caisse au printemps 1989 constitue à ce titre un vrai déracinement, vécu comme la déconstruction de tout un capital symbolique mobilisable par le groupe) : c'est tout le système social interne à la vie des ateliers qui se voit brutalement métamorphosé, requérant un profond changement de mentalité chez les ouvriers, et imposant à cet effet une rupture comportementale forte avec les générations précédentes. [...]
[...] De manière originale, les auteurs illustrent aussi le processus de déconstruction par le changement du rapport au corps chez les ouvriers : les jeunes affichent leur prise de distance (lunettes au travail, recherche de confort . ) avec les schèmes de représentation les plus familiers de la classe ouvrière, lesquels ont ainsi longtemps valorisé le corps noueux de l'opérateur. De fait, dans leurs schèmes corporels, dans leurs manières d'être (ils refusent de boire avec les autres, de s'associer aux rituels), ils sont une espèce de dénégation vivante de ce que sont les OS (p. 332). [...]
[...] Mais cette différenciation n'a jamais porté préjudice au maintien de l'unité ouvrière au quotidien : au contraire, élus le plus souvent aux postes de délégués syndicaux, les OP participaient directement de la mobilisation collective au jour le jour au sein des ateliers, affirmant ostensiblement leur fierté d'appartenir à la classe des ouvriers Comme le précisent les auteurs, la relative cohésion du groupe était liée à une action politique persistante et renouvelée, à un certain mode de présence des délégués et des militants au sein des collectifs de travail tels qu'ils sont constitués dans une organisation taylorienne (p. 335). Dans le système taylorien, c'est donc le militantisme au quotidien, renforcé par la pénibilité commune des conditions de travail, qui a perpétué la conscience de classe. Quoiqu'ils aient toujours été soupçonnés de vouloir s'extraire hors du groupe (de par leur culture, leur capacité d'expression . et contraints à cet effet de surenchérir dans leur engagement syndical, les militants y étaient perçus comme ceux qui se sacrifient pour leurs copains (p. [...]
[...] Noiriel) qui s'était construite dans les luttes sociales de 1936 et de l'immédiat après-guerre (p. 417). Ainsi, les jeunes ouvriers de ce début de siècle refusent le plus souvent leur identification à ce groupe, préférant considérer leur position comme provisoire, quitte à se priver définitivement de l'appartenance à une communauté de destin (p. 421). Dans ces conditions, la disparition des ouvriers dans les schèmes de représentation politique, sociologique ou historique évoquée en introduction n'a donc rien de très surprenant . [...]
[...] C'est ce vaste projet que concrétise ici cette longue étude effectuée entre 1983 et 1995 aux usines Peugeot de Sochaux Montbéliard (qui forment, avec plus de 20000 salariés, le plus gros complexe usinier de France). A contrario du sentiment commun, et en dépit de la modernisation des ateliers et modes de production, ils vont s'attacher à montrer que les conditions de vie à l'usine et les rapports au travail entre ouvriers demeurent encore marqués par la précarité, par la pénibilité et surtout par l'expression d'un véritable désenchantement (cet aspect essentiel sera cependant écarté ici en raison de l'orientation problématique choisie). [...]
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