Dans ce texte intitulé « Les transformations de l'équilibre nous-je », extrait de l'essai La société des individus (1987), le sociologue allemand Norbert Elias actualise les thèses développées dans les deux parties précédentes du triptyque (rédigées antérieurement) et rend compte des phénomènes et événements postérieurs à sa théorisation des rapports nous/je. Né en 1897, ayant vu sa carrière interrompue par un exil londonien dû au nazisme, il n'est reconnu et redécouvert que tardivement par la sociologie française, et en particulier pour Le processus des civilisations dont il est le théoricien et qui, on le verra, n'est pas sans rapport avec notre texte.
Plus qu'une étude des sociétés, c'est un véritable travail anthropologique qu'il mène, dont l'enjeu est de dépasser l'opposition persistante entre individu et société. En s'interrogeant sur ces deux notions pour ce qu'elles sont, à savoir des produits humains et non pas des données, Norbert Elias les replace dans une perspective historique et expose les inflexions globales de la pondération entre identités individuelle et collective, qu'il considère comme un véritable moteur de l'évolution des sociétés. Il étudie donc ce rapport mouvant par un regard aussi bien porté sur les transformations factuelles que sur leur intériorisation par les individus, ce qui probablement concourt à la richesse du texte. A mesure que les sociétés se sont développées, le commerce et la construction des Etats Nation ont laissé émerger l'expression de l'individualité mais les configurations successives atomisent ce « je » dans des unités sociales élargies. Autant dire qu'il sera instructif d'observer la mondialisation avec le modèle de Norbert Elias.
De cette thèse générale, trois grandes idées émergent : d'une part la caducité de la dichotomie individu/société nous oblige à considérer leur rapport comme une évolution révélatrice des sociétés (on ne peut plus concevoir la confrontation simpliste d'un individu sujet à une société objet). D'autre part, une fois cette affirmation posée, il convient d'observer ces processus sociaux qui ont conduit l'individu à s'affranchir de l'identité sociale puis à la subordonner même si, comme nous le verrons dans une troisième partie, la distanciation en constante augmentation entre le « je » et des collectivités de plus en plus intégratives provoque des résistances. En ce sens, l'auteur nous offre une lecture alternative de la société-monde.
[...] Le latin est une composante de l'habitus social de Descartes. Nous sommes en fait les faire-valoir de cet habitus social hérité, mais libre à nous de l'individualiser. Il y a donc complémentarité et coexistence des identités individuelle et sociale relation que le sociologue illustre par l'exemple du nom qui, on le sait, s'impose comme un primordial d'identité sociale : sa dualité est significative, dans la mesure où le nom de famille désigne l'homme comme membre d'un groupe (une carte de visite et le prénom en fait une unité singulière au sein de ce groupe. [...]
[...] Le même schéma d'intégration se reproduit, mais à une échelle telle qu'il apparaît inédit. L'unité de survie étant devenue planétaire, les Etats s'adaptent avec des institutions symptômes comme l'ONU ou la Banque Centrale, qui s'affermissent à mesure qu'elles sont confrontées aux problèmes mondiaux. En pleine Guerre Froide, et donc course aux armements, l'auteur s'interroge sur le caractère potentiellement autodestructeur de cette Humanité qui, n'ayant plus d'ennemis externes, mène une lutte suicidaire. Le nouveau défi pour l'Humanité réside pour lui dans le décalage entre l'identification des populations à ce nous ultime et l'intégration effective, la seconde précédant la première : c'est l'effet de retardement qui handicape chaque extension de l'unité sociale. [...]
[...] Autant dire qu'il sera instructif d'observer la mondialisation avec le modèle de Norbert Elias. De cette thèse générale, trois grandes idées émergent : d'une part la caducité de la dichotomie individu/société nous oblige à considérer leur rapport comme une évolution révélatrice des sociétés (on ne peut plus concevoir la confrontation simpliste d'un individu sujet à une société objet). D'autre part, une fois cette affirmation posée, il convient d'observer ces processus sociaux qui ont conduit l'individu à s'affranchir de l'identité sociale puis à la subordonner même si, comme nous le verrons dans une troisième partie, la distanciation en constante augmentation entre le je et des collectivités de plus en plus intégratives provoque des résistances. [...]
[...] Si ce degré extrême de dépendance n'est pas un facteur d'endiguement des conflits (oscillation perpétuelle entre conflit et coopération en fait), il affirme la primauté d'un nous plus ou moins unifié. En revanche, le développement économique, au Moyen Age et plus encore à la Renaissance, initie une émancipation graduelle de l'homme qui n'est plus fatalement surpassé par le groupe, grâce à une mise en contact accrue avec l'altérité. La notion très contemporaine d' ascenseur social illustre cette opportunité d'épanouissement externe au groupe (ici la famille). [...]
[...] Parallèlement, l'action des pourfendeurs de ce nous suprême s'est intensifiée, notamment avec le 11 septembre. La question de la reconnaissance des nous minoritaires et de la marginalisation est toujours au cœur du débat, du fait de la difficulté d'assimilation de sociétés aux niveaux d'individualisation contrastés. Quant à la prise de conscience collective de l'identité humaine il semble qu'elle soit lente mais en progrès (souvenons nous de la mobilisation pour le tsunami même si le Pakistan est un exemple de marginalisation). [...]
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