C'est un double sentiment qui, semble-t-il, préside à l'élaboration de cet ouvrage de l'économiste français Daniel Cohen, intitulé Nos temps modernes et publié chez Flammarion (collec. Essais) en 1999 : celui d'une métamorphose profonde de la société comme celui d'un flottement peu confortable entre deux états. Quelle place l'homme occupe-t-il dans un monde désormais « abstrait », où, plus que jamais, sa position lui semble fragile ? Aucune théorie récente n'a jusqu'ici été capable d'expliciter ce phénomène dans sa totalité. Et l'auteur d'attaquer l'ouvrage à succès de J. Rifkin, La Fin du travail : selon lui, a contrario, les salariés n'ont jamais atteint une telle charge de travail. Un travail facilité par les nouvelles techniques, certes, mais dont l'une des conséquences majeures est l'épuisement psychique et physique. Par ailleurs, si l'innovation technologique grandissante prétend nous libérer de la dépendance vis-à-vis de la nécessité, elle crée par là même notre dépendance vis-à-vis de la technologie. Cohen fait ici œuvre de sociologue en même temps que d'économiste, tant il vise, par le biais d'une imagerie parfois utopique, à définir les critères de l'épanouissement humain. Le fil rouge de ce livre est moins l'élaboration « jargonneuse » d'une théorie qu'une tentative de revalorisation de l'homme en tant que matière première du devenir économique, ce qu'il nomme le capital humain
[...] Il évoque la nécessaire capacité de la Banque centrale européenne à réagir vite en cas de crise (question ô combien d'actualité et souligne à quel point le pouvoir politique n'est pas là pour contrer l'économie de marché mais au contraire doit la soumettre à ses exigences afin de progresser. Qu'est-ce que le capitalisme aujourd'hui ? C'est le premier fil rouge de l'ouvrage de Cohen : mieux comprendre pour mieux le critiquer et déceler les lacunes. Certes, depuis Marx, la définition reste la même : la propriété privée, la concurrence favorisent toujours une très faible part de la population aux dépens de l'immense majorité qui devient de plus en plus pauvre. [...]
[...] Il se fixe en permanence sur ce que possède l'autre, et qu'il convoite. Pour Cohen, une augmentation du revenu entraîne l'achat de biens identiques mais plus chers, et non celui de biens différents (p. 68-69). Doit-on comprendre que le consommateur est prisonnier d'une sorte de déterminisme culturel et social, de sa condition, de telle sorte qu'il n'imagine même pas avoir accès à de nouveaux types de produits ? que, par exemple, au lieu d'acheter un lecteur DVD, il se contenterait d'acheter un magnétoscope de meilleure qualité que son ancien appareil ? [...]
[...] Grâce à la diffusion plus rapide de l'information (via Internet ou les réseaux internes), l'employé contrôle sa production d'amont en aval. Quelles en sont les conséquences ? Selon Cohen, on peut observer la disparition progressive de certains métiers intermédiaires (la secrétaire du manager), ainsi qu'une suppression (ou plutôt un aplatissement) des hiérarchies, ce que nous pouvons contester : en effet, toute activité, même ancrée de plain-pied dans les nouvelles technologies, s'inscrit dans le cadre d'une entreprise, voire d'une administration publique, et est nécessairement définie par une demande précise. [...]
[...] C'est le second fil rouge de l'ouvrage de Cohen et l'horizon à atteindre. Cela paraît tout simple et pourtant c'est énorme. G. Orwell écrivait : La Révolution, c'est d'abord admettre que 2 et 2 font 4. Le reste suivra. Tant qu'on n'aura pas remis l'homme au centre, nous demeurerons dans une impasse. Cf., entre autres, Brigitte Gauthier, Histoire du cinéma américain, Hachette D. Cohen s'inspire aussi beaucoup, semble-t-il, des travaux du sociologue G. [...]
[...] D'autre part, le capitalisme moderne supprime peu à peu les fondements éthiques et sociaux qui président aux relations humaines pour y substituer un unique lien, abstrait, dépouillé des critères qui font de nous des êtres uniques : celui de la valeur économique. Il manque à nos temps modernes une dimension sociale plus aboutie, il manque l'avènement du capital humain. La révolution ne réside pas dans l'innovation perpétuelle, car toute invention se banalise (ainsi Internet), mais dans cette revalorisation de l'homme au sein du processus économique. [...]
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