Sur la télévision (livre et interview vidéo) - Pierre Bourdieu (1996)

Thèmes abordés

Sur la télévision, interview vidéo, Pierre Bourdieu, 1996, CNRS, censure invisible, télévision, faits divers, journal télévisé, actualité, débat d'idées, sélection de l'information, médias, persuasion, passivité

Résumé du document

Selon Pierre Bourdieu, il existe une censure invisible à la TV, une violence symbolique. Elle s'oppose à la censure directe ou économique en cela que les acteurs ne perçoivent pas ce mécanisme. La télévision cache en montrant, et "plus elle dévoile plus elle voile". Il prend l'exemple des faits divers, qu'il rapporte à des faits qui font diversion. La ressource la plus précieuse à la TV étant le temps, le fait de montrer des faits divers est donc, nécessairement important s'il est récurrent.

Extraits

[...] Il décortique ainsi la télévision et ses mécanismes : en quoi la télévision fausse-t-elle l'accès à l'information ? Bourdieu s'appuie d'abord sur les catégories de perception des journalistes sélectionnant l'information. Puis, il évoque l'unification de l'information par la concurrence. Enfin, le débat d'idées est menacé par le fonctionnement de la télévision et la recherche du profit. La TV peut cacher en montrant (d'autres informations) ou cacher en montrant d'une manière différente, afin de déconstruire l'information en question par ex ou de lui donner un sens différent de la réalité. [...]

[...] Cela appelle donc à la dramatisation, car chaque journaliste cherche à faire le reportage qui fera le plus de bruit, et chaque chaîne cherchera à obtenir plus d'audiences (cela se confirme aujourd'hui avec l'avènement de médias exclusivement dédiés au « buzz »). Par exemple, les reportages sur les banlieues seront davantage axés sur les émeutes (le mot « émeute » peut également servir d'exagération pour sous-entendre le spectaculaire, l'étiquetage de l'information étant primordial). Puis, l'extraordinaire, ce qui rompt avec la routine ordinaire, est-ce qui n'est pas quotidien pour les téléspectateurs, et différente de ce que les autres médias racontent. Les médias peuvent donc faire naître des évènements (en les amplifiant) ou des groupes (en classant selon leurs catégories mentales issues de leur socialisation). [...]

[...] On créer donc le réel au lieu d'enregistrer ce dernier. Enfin, le monde social est de plus en plus décrit par les médias, qui deviennent ainsi l'accès à l'existence sociale et politique. L'objectif du politique selon Bourdieu est d'imposer des catégories, des « lunettes » divisant le monde d'une certaine façon, desquelles résulte l'effectivité de ces groupes qui finissent par se mobiliser et faire pression sur les politiques. Bourdieu note également que les manifestations sont de plus en plus effectuées pour la TV et ses journalistes (et leur vision catégorisée du monde). [...]

[...] En ajoutant à cela l'argument d'autorité de « l'expert » (du moins étiqueté expert), la persuasion est doublement efficace, car présenter quelqu'un comme un expert est une manière simple de transformer tout propos en vérité dans l'oreille du téléspectateur, comme le montre l'expérience de Milgram. Cela contribue à créer une pensée et une morale uniques. Si la télévision créer les opinions et l'actualité comme l'entend Bourdieu, il contribue aussi à créer les héros et les antihéros de la société, parfois de toute pièce, comme l'expose le film Joker à travers la figure d'un schizophrène changé en héros dissident et anticapitaliste par les médias. [...]

[...] Conclusion La TV est donc un outil peu autonome, sur lequel s'exercent des contraintes, liées aux relations sociales et structures mentales des professionnels. Cet outil de communication est donc bridé par nature, et le nivellement par la TV qui a pu être espéré dans le passé n'est pas advenu, et certains parlent même d'un nivellement par le bas à travers cet outil. Ce monde possède également une influence non contestable sur la culture, la science et la société, car elle porte une contradiction majeure entre les conditions sociales et économiques dans lesquelles il faut être placé pour créer une œuvre détachée de toute influence, et les mêmes conditions nécessaires pour transmettre ces produits. [...]