Les ouvrages sur le monde ouvrier se font de plus en plus rares, en particulier en France. Il y a en effet une «idée reçue sociologique» largement répandue depuis une vingtaine d'années, qui consiste à dire que la classe ouvrière a disparu au profit d'une large classe moyenne, avec, aux deux extrêmes de l'échelle sociale, les classes supérieures et les exclus. Pourtant les ouvriers restent l'une des composantes principales de la population active française (30,4% lors du recensement de 1990, environ 6,5 millions). Dans Retour sur la condition ouvrière , les sociologues Stéphane Beaud et Michel Pialoux s'interrogent sur les raisons pour lesquelles le groupe ouvrier s'est rendu «en quelque sorte, invisible dans la société française». La «classe ouvrière» traditionnelle n'est plus présente physiquement : les grandes usines et les concentrations ouvrières ont largement disparu du paysage, les quartiers ouvriers ne sont plus que des «quartiers», les «immigrés» ne sont plus considérés comme des travailleurs mais avant tout définis par leur origine nationale. Les «ouvriers» ont, d'une certaine manière, disparu du «paysage social» (p14-15). Au début des années 1990, la problématique de la «modernisation» et de l'exclusion a remplacé, dans le discours politique et médiatique, celle de la classe ouvrière même si, comme le rappelle Stéphane Beaud, «on rappelle de temps en temps qu'une fraction des exclus vient du monde ouvrier» . A partir d'une longue enquête ethnographique dans l'une des plus grande usine de France, Peugeot (18 000 salariés, dont 12 000 ouvriers, en 1998, contre 40 000 en 1978), les deux sociologues dressent un constat : «Malgré l'effondrement de la classe, le monde ouvrier n'a pas disparu» (p419). L'étude comporte trois parties : la première sur «les transformations de l'usine», la seconde sur «le salut par l'école» et la troisième sur «la déstructuration du groupe ouvrier». Nous nous intéresserons prioritairement aux deux dernières parties.
Les initiatives patronales à partir des années 1980 concernant l'organisation du travail tendent à décomposer les anciennes solidarités ouvrières ancrées dans une «culture d'atelier», à aviver la division entre ouvriers spécialisés (OS) et ouvriers professionnels (OP), entre «vieux OS» et «jeunes intérimaires» ou «jeunes techniciens». Cet affaiblissement de l'unité ouvrière n'empêche pas que des résistances individuelles ou collectives se manifestent. Les auteurs mettent en évidence qu'elles ont souvent comme enjeu la question de la dignité.
[...] Mais cette situation semble bancale et malaisée : elle conduit, à ce que Beaud et Pialoux nomment le «bricolage scolaire» (p252), tentative souvent vaine pour réduire la distance entre les exigences de l'institution scolaire et les ressources culturelles dont disposent les enfants d'ouvriers. Cela se traduit, de la part des élèves, par la mise en œuvre de techniques pour «faire face» en classe. Ainsi, faute d'avoir lu les œuvres classiques de la littérature française, les élèves apprennent par cœur les corrigés des explications pour ensuite les réciter le jour de l'examen. [...]
[...] C'est sur cette toile de fond que Beaud et Pialoux pensent pouvoir expliquer ce qui à première vue apparaît comme un paradoxe, à savoir qu'un nombre important d'ouvriers continuent à voter au sein de l'entreprise pour la CGT, c'est à dire le syndicat le plus combatif, et au niveau national pour le Front National. Néanmoins, en nous appuyant par les analyses de Jocelyn Evans[5] sur le vote «gaucho- lepéniste», une telle attitude peut s'expliquer et apparaître comme rationnelle pour les acteurs. [...]
[...] Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Retour sur la condition ouvrière Introduction Les ouvrages sur le monde ouvrier se font de plus en plus rares, en particulier en France. Il y a en effet une «idée reçue sociologique» largement répandue depuis une vingtaine d'années, qui consiste à dire que la classe ouvrière a disparu au profit d'une large classe moyenne, avec, aux deux extrêmes de l'échelle sociale, les classes supérieures et les exclus. Pourtant les ouvriers restent l'une des composantes principales de la population active française lors du recensement de 1990, environ 6,5 millions). [...]
[...] Le désarroi identitaire du groupe ouvrier Dans la dernière partie de leur ouvrage, les deux sociologues s'interrogent sur la «déstructuration du groupe ouvrier». Ils insistent d'abord sur la crise du militantisme ouvrier, qui ne se traduit pas uniquement pas la baisse du taux de syndicalisation, mais aussi et plus durablement dans la relation entre le délégué et la «base». La spécificité du militantisme OS était liée à l'affinité construite entre les militants et les ouvriers de base, «fournissant . les conditions structurelles de reproduction de la relation de confiance». [...]
[...] L'effondrement du communisme a eu de fortes répercussions sur les consciences ouvrières. Le militant en vient ne plus oser prononcer certains mots, à se sentir déposséder de son histoire, qui a pourtant été centrale pour lui» (p354). La description par les deux auteurs de la crise du militantisme et de l'incapacité des syndicats à reproduire des militants semble trouver un écho dans l'univers politique en général et partisan en particulier. Analysant l'engagement militant, Daniel Gaxie[4], supposait que l'entrée en militance ne correspondait pas uniquement avec une affinité idéologique. [...]
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