Voilà un petit livre (122 pages) qui mérite un grand intérêt en raison de sa rigueur épistémologique et de l'intensité des questions qu'il soulève pour saisir, sans passion, le « phénomène Le Pen ». Jacques Le Bohec préfère désigner ainsi son objet, plutôt que de parler de « mouvement » ou de « parti », pour dire combien ce phénomène, et sa persistance électorale depuis plus de vingt ans, n'est pas le fait exclusif de l'efficacité performative du discours politique des responsables du Front national (FN), ni du charisme attribuée à son leader. Parler de « phénomène Le Pen » permet à l'auteur de prendre en compte certains agents sociaux (« journalistes, politiciens, sondeurs, politologues, historiens, intellectuels, associatifs, ecclésiastiques, artistes ») habituellement exclus de l'analyse, alors qu'ils ont contribué, souvent à leur insu, à la construction symbolique du « phénomène Le Pen ».
[...] Pascal Duret, Les larmes de Marianne. Comment devient-on électeur du Front national Paris, Armand Colin pp. 11-12. Il semble ainsi que les déterminants sociaux des électeurs FN soient laissés de côté quand ils ne ressortent pas tous du même groupe social : pour faire entrer la réalité dans leur schéma d'un vote populaire, ils [les savants, journalistes, sondeurs et politiciens] ignoreront les autres catégories sociales et les données qui le contredisent. Jacques Le Bohec, Sociologie du phénomène Le Pen, op. [...]
[...] D'où la question pertinente, pour ne pas dire dérangeante, posée par Jacques Le Bohec : et si la persistance du phénomène Le Pen était moins due à l'efficacité performative du discours politique du FN ou à la personnalité charismatique attribuée à son leader qu'à la contribution que chacun d'entre nous apporte, plus ou moins inconsciemment, à son maintien dans le paysage politique ? Pensons notamment au recyclage politique des thèmes, voire des élus, du FN par les organisations partisanes ou par la presse (la sécurité l'immigration la corruption des édiles etc.). [...]
[...] Pour agir efficacement, c'est-à-dire pour atteindre l'utilité pratique sans laquelle Emile Durkheim pensait que la sociologie ne vaudrait pas une heure de peine suffit-il seulement de se draper dans ses bonnes intentions ? Ne doit-on pas plutôt ne pas déplorer, ne pas rire, ne pas détester, mais comprendre et pour ce faire, se donner les moyens conceptuels et empiriques de forger une grille explicative convaincante, c'est-à-dire [de recentrer les investissements scientifiques] sur la fiabilité et la rigueur en s'éloignant du simplisme médiatique, du souci commercial, du conseil au prince, de la prescription thérapeutique et de la promotion disciplinaire ? [...]
[...] cit., p Patrick Champagne, Je ne suis pas raciste mais Politique, la revue, avril 1997, p Jacques Le Bohec, Sociologie du phénomène Le Pen, op. cit., p Ibidem, p Maxime de Spinoza cité par Pascal Duret, Les larmes de Marianne. Comment devient-on électeur du Front national op. cit., p Jacques Le Bohec, Sociologie du phénomène Le Pen, op. cit., p. [...]
[...] Citons ici ce que dit le sociologue Pascal Duret sur les difficultés à maintenir une distance critique à l'égard d'un terrain aussi sensible : si la position de neutralité axiologique semblait indispensable pour considérer ces électeurs [du FN] ni plus ni moins que n'importe quels autres, le travail de réglage de la distance critique était plus coûteuse et éprouvante que jamais sur ce terrain surinvesti normativement. Tout ceci conduit à ce que paradoxalement la recherche, en mélangeant militantisme citoyen et posture scientifique, octroie au phénomène Le Pen un statut d'exception, reprenant ainsi sous couvert scientifique ce qui constitue un des enjeux même de la lutte de classement politique du Front national : parti (marginalisé) d'extrême droite ou parti de droite (extrême) ? [...]
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