Erik Neveu, professeur de sciences politiques à l'Institut d'études politiques de Rennes et directeur du Centre de recherches administratives et politiques, travaille sur les enjeux politiques de la culture et des mythologies sociales, et sur les relations entre journalistes et responsables politiques (Sociologie politique, 2001).
Un mouvement social, c'est d'abord une mobilisation de femmes et d'hommes autour d'espoirs, d'émotions, d'intérêts. C'est aussi une occasion privilégiée de mettre en discussion des enjeux sociaux, de chercher à dire le juste et l'injuste. C'est parfois aussi l'occasion de faire bouger la société et la politique, de s'inscrire dans une mémoire collective, de donner un repère décisif à une génération.
Les questions que soulève une analyse des mouvements sociaux sont abondantes et complexes : pourquoi certains groupes se mobilisent-ils davantage que d'autres ? Quelle est la « rationalité » des mobilisations ? Quel y est le rôle des médias ? Comment les systèmes politiques y réagissent-ils ? Pour tenter d'apporter des éléments de réponse ordonnés à ces interrogations, on cherchera d'abord à préciser la notion souvent confuse de « mouvement social », à comprendre en quoi, pour être familier, le registre de la protestation que traduisent manifestations ou grèves n'est ni le seul ni le plus évident à emprunter face à des tensions ou malaises sociaux.
Un aperçu de diverses écoles sociologiques permettra ensuite de repérer à travers quelles « boîtes à outils » théoriques les sciences sociales ont tenté de rendre compte des mouvements sociaux. Enfin, on montrera en quoi, loin de fonctionner comme un défilé de théories, l'analyse sociologique parvient désormais à cumuler des savoirs, à mieux rendre compte de la place des croyances et des émotions, du rapport au politique.
[...] La participation aux instances bureaucratiques de négociation est aussi dévoreuse de temps militant. Une des causes de la crise du syndicalisme français est à chercher dans l'absorption de ses cadres dans une myriade de commissions et comités bureaucratiques paritaires qui accentuent la coupure entre les représentants et une base ténue. On retrouve ici la tension, suggérée par Piven et Cloward, devant laquelle se trouve tout mouvement social entre une restriction risquée au registre de la mobilisation et d'autres modes de maintien de son problème à l'agenda (risque de domestication). [...]
[...] La loyauté (loyalty) à la marque ou au mouvement fait accepter ses défauts, la baisse de ses mérites. Les sentiments de fidélité, de devoir à l'égard de l'institution ou du mouvement, l'acceptation résignée de ses défauts sont assez puissants pour faire passer par-dessus les mécontentements qu'il suscite. La parole enfin (voice) exprime une protestation contre les performances de la firme, du service, du mouvement. Hirschman fait de cette typologie un outil fécond pour penser les conditions d'émergence et de non-émergence de l'action collective. [...]
[...] Les tendances à la politisation des mouvements sociaux Charles Tilly a mis en évidence la tendance historique à la politisation des mouvements sociaux et ses racines. D'une façon schématique, on peut suggérer que, dans le cas français, les processus de mobilisation demeurent essentiellement locaux jusqu'au début du XIXe siècle. La cible des protestations appartient le plus souvent à un univers d'interconnaissance qui fait que l'adversaire est un individu connu (logique de face-à-face direct) avant d'être le représentant d'une institution abstraite (firme, administration). [...]
[...] La RAT et le durcissement du modèle Le modèle construit par Olson reçoit aussi de son auteur des limitations explicites. Il s'applique aux mobilisations visant des biens collectifs Mais surtout Olson souligne le particularisme des petits groupes et on peut se demander si l'attention qu'il porte aux effets des relations sociales ou affectives dans la dynamique de mobilisation propre aux petits groupes ne mine pas la forte cohérence de son modèle. Enfin, Olson souligne que sa grille d'analyse risque de ne pas apporter grand-chose à l'étude des groupes philanthropiques ou religieux qui défendent des intérêts de ceux qui ne sont pas leurs membres Les prudences initiales d'Olson vont se trouver graduellement balayées au seuil des années quatre-vingt par l'essor d'une rational action theory dont les adeptes les RAT's prétendent appliquer le modèle de l'Homo œconomicus à tous les faits sociaux (Buchanan, Becker) : possible interprétation de tous les phénomènes par la référence à des acteurs rationnels pour lesquels la participation à l'action collective est une pure démarche de calcul de rendement des énergies et ressources investies dans l'action. [...]
[...] Les dimensions symboliques de ce recours au langage sont variées : dimension cognitive apportant les mots, les classements, les explications qui ordonnent le monde ; dimension normative désignant des causes et des responsables ; composante identitaire désignant le bien et le mal, le nous et le eux ; registre expressif rendant possible la formulation de griefs et de demandes. Les années quatre-vingt ont vu se développer des travaux sur des objets jusque-là souvent négligés : tracts, programmes, manifestes. Croyances, idéologies, systèmes de justifications bénéficient désormais d'un intérêt accru tant pour rendre compte du rapport subjectif des personnes mobilisées à l'action que comme élément de compréhension des formes d'organisation, des modes de problématisation des enjeux. L'attention à la culture et aux idéologies allume un projecteur sur le versant du rapport vécu à l'action. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture