L'ouvrage "Sociologie de l'Etat" de Bertrand Badie et Pierre Birnbauma a pour objectif de clarifier l'usage du concept de l'Etat. En effet, ce concept tend à perdre dans l'analyse politique contemporaine toute dimension heuristique. C'est là la loi commune à l'évolution de toutes les sociétés. L'Etat n'est pas un fait d'histoire universelle, mais bien le produit d'une crise de l'histoire à laquelle les sociétés prémodernes ont été de plus en plus exposées. Longtemps abandonné aux philosophes et aux juristes, l'Etat relève plutôt d'une approche sociologique, parce qu'il est en lui-même un fait social. Il devient donc urgent d'essayer de construire une sociologie de l'Etat qui s'interroge sur la pluralité de ses formes et l'inégalité de son développement.
L'Etat n'est pas issu du capitalisme ni de l'ouverture des circuits marchands, ni encore de l'essor industriel : c'est bien pour cela qu'il est impossible de l'associer purement et simplement à la modernisation économique. Son instauration s'est bel et bien réalisée au prix d'une totale expropriation politique de l'aristocratie.
La raison d'être de l'Etat se trouve en fin de compte dans cette dynamique de l'innovation qui lui est dictée par ses intérêts propres, qui lui est abandonnée à cause de l'extrême rigidité qui affecte la société civile et dont l'exercice lui est facilité par la formule de la dissociation des structures, propre au code culturel occidental.
[...] La société américaine s'est donc construite par autorégulation, la nation ne résulte pas de l'action d'un Etat central, bien au contraire elle s'organise en dehors de tout Etat à la française. Se construisant sans l'aide de l'Etat, la première nouvelle nation trouve son principe de légitimité dans une combinaison des principes de liberté et d'égalité qui renforce l'individualisme et légitime l'inégalité des conditions. De plus, le protestantisme prévient l'apparition d'un Etat en renforçant l'individualisme. A la place d'un Etat ce sont donc des élites dotées d'un pouvoir légitime qui organisent la société américaine et notamment l'élite économique assure un rôle essentiel. [...]
[...] A la place d'un Etat, c'est une classe sociale qui dirige la Grande-Bretagne. Ce processus d'osmose des classes sociales intervenu au centre, de même que les mécanismes de représentation, a prévenu l'apparition d'un Etat. En Grande-Bretagne c'est aussi le développement très rapide du capitalisme et du marché qui a mené à un Etat retardé, la société civile maintenant sa domination. Dans ce pays, c'est le marché qui est premier et non l'Etat. L'autorégulation par la société civile favorise donc tant l'apparition de mécanismes de représentation que la naissance du marché, autant de processus qui rendent inutile un Etat fort. [...]
[...] Loin d'aplanir les conflits, le centre étatique tend donc à les aiguiser et devient une source supplémentaire de confrontations. Accélérant le dépérissement des structures sociales traditionnelles, la simple formation d'un centre politique autonome amène des forces sociales jusque- là dominées à participer à la lutte politique, à s'organiser et à s'engager dans une action revendicatrice. L'Etat serait alors, dans le langage organiciste, dysfonctionnel, comme source et enjeux de nombreux conflits. En cela la sociologie de l'Etat est indissociable de celle de la société. [...]
[...] L'indépendance de l'Etat se comprend en fait comme le résultat d'un processus général de différenciation qui survient dans certaines sociétés au passé féodal et qui pousse à la séparation du lieu du politique, à la division des fonctions comme conséquence d'un mécanisme global de division du travail. Lequel donne naissance dans ce lieu particulier à une forte organisation bureaucratique. C'est la division du travail et non la propriété privée des moyens de production qui rend compte de la naissance de l'Etat. [...]
[...] L'Etat reste ainsi en Afrique comme en Asie un pur produit d'importation. L'Etat n'est avant tout qu'une addition d'appareils administratifs, qui contrairement à ce qui s'était imposé sur le vieux continent, ne se trouvent pas intégrés dans une communauté politique organisée et ne sont guère équilibrés par une société civile autonome et structurée. Le sous-développement économique et la faiblesse de la mobilisation sociale empêchent la formation d'une société civile assez organisée pour pouvoir, comme en Europe, bénéficier réellement de l'intervention régulatrice des bureaucraties et contrôler l'essor de leurs prérogatives. [...]
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