François Dubet, sociologue, est professeur à l'université Victor-Segalen-Bordeaux II.
Directeur de recherche au CNRS et à l'Ecole des hautes études en sciences sociales à Paris, il
est membre de l'Institut universitaire de France. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la
jeunesse, l'éducation, la marginalité, les mouvements sociaux et la théorie sociologique ( La
Galère (1987), Les Lycéens (1991), Sociologie de l'expérience (1994) ), et, avec Danilo
Martucelli (Décalages (1995)), chercheur au CNRS-CLERSE, professeur invité à
l'Université de Montréal, de A l'école (1996) et de Dans quelle société vivons-nous ? (1998).
Dans ce dernier ouvrage, ils s'intéressent à l'idée de société, qui a longtemps fondé la
cohérence et l'unité de la vie sociale des Etats-nations industriels et modernes. Cette
représentation affirmait aussi l'unité de l'acteur et du système, de la subjectivité et de
l'objectivité. Aujourd'hui, cette idée s'éloigne de nous quand la société cesse d'être dominée
par l'industrie, quand la modernité déçoit, quand la subjectivité, égoïste ou morale, s'impose,
quand les Etats-nations ne sont plus identifiables à « la société ».
Pour autant, selon ces deux auteurs, l'idée de société ne peut être abandonnée. C'est la
thèse qu'ils défendent tout au long de ce livre, non pour céder aux nostalgies républicaines ou
communautaires, mais parce que la vie sociale est désormais ce que nous en faisons à travers
la représentation que nous ne construisons dans les conflits sociaux, sur les scènes
médiatiques et dans la vie politique. Les promesses de la modernité se sont réalisées au prix
de la mort de quelques illusions. La vie sociale est une production continue, une « volonté »,
quand l'objectivité du monde ne peut plus fonder l'unité de nos expériences.
Si l'idée de société moderne a visé à décrire une réalité sociale qui se voulait
« substantive », désormais, elle ne peut plus se penser qu'en fonction de sa propre
interrogation sur elle-même, et avec la conscience croissante de l'impossibilité de parvenir à
une réponse définitive. Elle n'est dès lors qu'une réponse, toujours contingente et circonscrite,
à une question lancinante : « Dans quelle société vivons-nous ? ».
[...] La production de normes est passé du côté de la subjectivité et de l'expérience des individus. L'école, la famille, l'Eglise ne sont plus des institutions, ce sont des organisations, des cadres de l'action, des offres de services, elles ont accompli le programme de la modernité, celui d'une autoproduction de la société. L'intégration de la société n'est plus réalisée par une programmation assurant une coordination générale des conduites. La désinstitutionnalisation a placé l'individu sur le devant de la scène. Le triomphe de l'individu porte à la fois les rêves et les déceptions de la modernité. [...]
[...] On essaie de se débarrasser de l'idée de société, quitte à proposer parfois d'étranges lectures de la tradition sociologique. Une autre manières d'abandonner l'idée de société est celle des courants interactionnistes et constructivistes. Ce que l'on appelle la société n'est pas une totalité organisée, mais le produit d'une construction conjointe réalisée par les acteurs au cours de leurs échanges sociaux et langagiers. Comment changer une société qui n'est pas un système ou qui est un système si complexe qu'on ne peut en avoir que des maîtrises locales ? [...]
[...] Le langage courant définit le mouvement social comme une action de protestation collective. Dans le vocabulaire sociologique, il est de rigueur d'opposer deux démarches : la première, qui s'inscrit dans une tradition européenne, insiste sur le caractère structurel des conflits ; la seconde, axée sur la mobilisation des ressources et qui s'est plutôt déployée aux Etats-Unis, définit les mouvements sociaux comme l'agrégation d'intérêts spécifiques poussant à accéder à l'espace politique. Aujourd'hui, le mouvement ouvrier ne donne plus une direction et un cadre de signification, une intelligibilité globale de la société. [...]
[...] En délaissant l'idée de totalité, en abandonnant le projet de définir des types sociétaux, la sociologie est devenue, de fait, post-moderne ; le monde social est un patchwork. Mais si la société ne peut plus être représentée comme un ensemble naturel intégré autour d'une culture , d'un mode de production et de fonctions il n'est pas nécessaire pour autant de renoncer à l'idée de société et à la vocation de la sociologie de construire l'image empirique et philosophique des ensembles dans lesquels nous vivons. Pour décrire la société dans laquelle nous vivons, il faut refuser le thème de l'immobilité et celui de la rupture radicale. [...]
[...] La structuration des identités s'est profondément transformée depuis trente ans. Les nouvelles identités s'inscrivent dans l'imbrication du social, du culturel, du naturel A terme, aucune unité ne semble pouvoir résister à cette multiplication identitaire. La rencontre d'une structure sociale de plus en plus complexe et mouvante avec une culture de moins en moins institutionnalisée provoque nécessairement un éclatement des identités sociales. Dans ce contexte, l'identité est une ressource avant d'être un problème. L'effort auquel sont contraints les acteurs, et qui les oblige à reconstruire une expérience personnelle, donne lieu à la constitution d'identités qui veulent s'assumer et s'exprimer dans le domaine public. [...]
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