Est-il possible, par les temps qui courent, d'évoquer l'insécurité sans polémiques partisanes ni angoisses à dormir debout ? L'auteur, Sebastian ROCHÉ, chercheur au CNRS, nous fournit les clés d'un dossier qu'il étudie depuis de nombreuses années.
Il montre que la délinquance et le sentiment d'insécurité ont pris leur essor bien avant l'éclosion d'une crise économique et sociale qui n'a certes pas arrangé les choses mais ne suffit pas à expliquer le phénomène.
Il montre que l'aliment principal du sentiment d'insécurité est la multiplication des "incivilités" : les mille petites agressions quotidiennes qui nous gâchent la vie et pas seulement en banlieue. L'insécurité ordinaire n'est pas le crime, mais un mal-vivre nourri de ces désordres.
Il montre enfin que l'Etat est contraint d'avouer son impuissance au moment où il est le plus sollicité. La "société incivile" devra s'interroger sur elle-même et ne pas se contenter d'interpeller les gouvernements dépassés...
[...] Il est alors possible d'envisager que l'amélioration des conditions du "vivre-ensemble", de la co-habitation avec des étrangers débouchera sur une diminution des tensions. La population inquiète semble vivre avec une menace contre son identité, contre sa citoyenneté dans ses composantes les plus ordinaires. ses yeux, autour du fait d'être français, s'énoncent les droits dont doivent jouir des Français : droits dont découle l'édiction des bonnes moeurs." (page 119) La citoyenneté serait alors reliée à la production d'actes illégaux ou incivils : n'est citoyen que celui qui se comporte de "bonne manière". [...]
[...] La mise à distance d'autrui est également présente dans l'entrée en contact qu'on a avec lui ; elle est toujours délicate car on pénètre sur le territoire d'autrui : "on a tendance à y montrer une certaine discrétion (on frappe à la porte d'une pièce). Le but de la manoeuvre est de manifester le respect qu'on a pour celui qu'on croise. Finalement, lorsque l'on menace les barrières symboliques qui séparent les corps, ce sont les bases de la vie en commun qui sont menacées. Lorsque les distances civiles sont franchies, le corps est en alerte parce que les repères culturels sont malmenés. [...]
[...] Son caractère pénible est renforcée par les formalités administratives auxquelles il faut se soustraire. La définition du trouble ne saurait se construire indépendamment des souhaits de chaque individu : "l'ordre bousculé, qu'on devine en creux, se construit en référence à la vie quotidienne et à ses exigences, et non en référence à la loi" (page 53). L'évolution des opinions traduit l'accentuation de la pression qu'exercent les désordres sur la vie de tous les jours. Les troubles, lorsqu'ils sont faits au regard de tout le monde, témoignent de la présence de menace généralisée. [...]
[...] Les repères collectivement utilisés s'évanouissent." Page 90 : "Le sentiment d'insécurité que génère un espace provient de la perception de nos agresseurs supposés (de leur nombre, leur force physique, etc.)." Page 91 : "Les incivilités ne sont perçues comme signe de menace qu'en miroir du code positif que constitue la gamme des civilités progressivement admises comme normales depuis le XVIIIe siècle environ." Page 97 : "Finalement, lorsque l'on menace les barrières symboliques qui séparent les corps, ce sont les bases de la vie en commun qui sont menacées. Lorsque les distances civiles sont franchies, le corps est en alerte parce que les repères culturels sont malmenés. [...]
[...] Mais l'autodéfense ne l'est pas plus. La population inquiète se sent touchée par les moindres atteintes aux lois et à la morale, mais délègue toute lutte collective contre les fauteurs de troubles aux pouvoirs publics, tout en ne se faisant aucune illusion sur la difficulté qu'il y a à résoudre le problème." (page 171) La contre-agression est d'autant plus probable qu'il ne reste pas d'échappatoire, que l'individu se sent coincé dans son logement ou dans un quartier. La contre-agression est également liée aux ressources financières de la population : les personnes ayant un salaire important sont les moins sensibles à l'insécurité, les moins demandeurs de répression et d'autoritarisme et celles qui protègent le plus leur domicile. [...]
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