Dans ce livre, Viviane Zelizer envisage une approche de la monnaie qui se distinguerait à la fois des approches économiques traditionnelles (pour l'essentiel néoclassiques) et des approches de la sociologie classique (ou du moins la présentation qu'elle en fait).
Pour les économistes, la monnaie est caractérisée par le fait qu'elle est un équivalent général, accepté par tous dans toutes les sphères de l'échange économique (pouvoir libératoire illimité), parfaitement fongible et divisible. Les néoclassiques considèrent également qu'elle n'est qu'un voile se superposant au troc et qu'elle ne peut avoir d'effets sur l'économie réelle (donc pas d'autres effets que sur les prix). On peut signaler au passage que Zelizer ne retient qu'une version, certes dominante, de l'analyse économique de la monnaie : rappelons que pour des auteurs comme Hayek, la création monétaire aura des effets sur la structure des prix relatifs et que Keynes considère qu'elle peut être désirée pour elle-même, ce qui induit des effets sur l'économie réelle. Toutefois ces auteurs approfondissent peu les liens que la monnaie peut entretenir avec les phénomènes sociaux.
Ces liens, on les trouvera chez d'autres auteurs comme Max Weber ou Georg Simmel et constituent, selon Zelizer, l'analyse classique de la sociologie.
Selon les sociologues classiques, la monnaie participe à un irrésistible mouvement de rationalisation. Celui-ci permet de développer des relations égalitaires fondées sur la raison et le calcul mais également des relations impersonnelles. Principal agent de la liberté, l'argent a également des effets aliénants et nivelateurs et valorise les relations sociétaires au détriment des relations communautaires, laissant place aux « eaux glacées du calcul égoïste » (Marx).
L'argent serait alors, avec l'intellect et le Droit, le principal facteur d'objectivation et d'homogénéisation de la vie sociale, intuition de Georg Simmel, reprise récemment. Cela suppose que l'argent est un phénomène homogène, qu'il y a une dichotomie entre l'argent et les valeurs non pécuniaires et que la monétarisation accompagne une marchandisation inéluctable de la vie sociale.
Pour résumer, on peut déduire des écrits de Viviane Zelizer que l'image de la monnaie retenue par les économistes et les sociologues classiques constitue un idéal type fondé sur les idées d'équivalent général, de fongibilité, de divisibilité et d'objectivité.
Zelizer conteste cette approche et montre que l'essor du phénomène monétaire donne lieu à des réappropriations par les individus et les groupes ; il y a donc, constamment, des phénomènes de subjectivation.
[...] Peut être faut il aussi reconnaître avec Zelizer que Georg Simmel, à travers son concept de tragédie de la culture a trop mis en avant la tyrannie de l'objectivité sur la culture subjective et n'a probablement pas suffisamment repéré tous les phénomènes de réappropriation des biens qui se dessinent au sein même de la consommation de masse. Peut-être faut-il aussi reconnaître que ces phénomènes - facilement repérables depuis les années 1980 et déjà en germes au cœur de la consommation de masse semblaient peu présents au début du 20 ème siècle face aux progrès naissants de la standardisation. Enfin, on doit reconnaître que Simmel a fait une erreur flagrante en considérant que l'argent devrait à terme développer ses effets homogénéisateurs et mettre fin aux crises spéculatives. [...]
[...] Il indique notamment que pour assumer ses fonctions économiques, l'argent a besoin de garder une valeur substance à moins d'être soutenu par des Institutions (État). Nous ne sommes pas si loin de Viviane Zelizer lorsqu'elle montre que la création d'une monnaie homogène est le fait de l'État américain. La complémentarité des travaux Zelizer consacre les dernières pages de son livre à montrer que le mouvement de subjectivation de l'argent est bien la tendance essentielle et non un phénomène mineur au regard d'une rationalisation et d'une objectivation irréversibles et, en cela, elle s'oppose explicitement à Simmel. [...]
[...] La subjectivité ira également se loger dans les usages possibles de l'argent. Simmel distingue d'abord les avantages inhérents à l'argent (qu'il appelle superadditum puissance, capacité à s'endetter, plaisir du mépris aristocratique de l'argent sachant que l'argent est toujours lié à une volonté d'en imposer aux autres (rappelons sa thèse des origines de la monnaie comme provenant d'un désir de comparaison). Il développe également son analyse des traits psychologiques liés à l'argent (analyse dite de la chaîne téléologique avarice, prodigalité, blasée, cynisme en favorisant, il est vrai l'image du blasé et du cynique, les plus propres à s'accorder à la rationalisation du monde. [...]
[...] Doit-il couvrir les seules dépenses domestiques ou, aussi, les dépenses personnelles de la femme ? Doit-il être considéré comme un cadeau ou comme un dû ? Doit-il être considéré comme l'équivalent d'un salaire ? Surtout, comment éviter qu'il soit considéré comme l'équivalent de l'argent de la prostitution ? Dans tous ces cas, il y a une volonté de marquage social car derrière tous ces problèmes de définition de l'argent apparaissent les problèmes des statuts de la femme et du travail domestique et cette définition se situe au centre des relations entre mari et femme. [...]
[...] Comment distinguer cet argent dépensé de l'argent domestique et de l'argent de la prostitution ? L'ARGENT DU POURBOIRE ET DES PRIMES Les primes et les pourboires vont occuper une place incertaine. La prime de Noël versée aux salariés, notamment, fut longtemps perçue comme un cadeau et dut attendre 1950 pour être définitivement intégrée au salaire et considérée comme un dû. L'argent des pauvres L'essentiel du livre de Viviane Zelizer (soit trois chapitres) est dédié au problème de l'assistance aux pauvres sous ses diverses formes. [...]
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