Au cœur de cet article repose ce qui constitue vraisemblablement le principal fondement des relations entre l'ethnologue, son milieu d'origine, l'Occident, et son milieu d'accueil, les « populations traditionnelles ». La qualification de ces dernières résume à elles seules le fond du problème : il a souvent été question de « sociétés primitives » voire de « sociétés exotiques ». Lévi-Strauss fait donc le point sur les notions de progrès, de culture, ou encore de « sens de l'histoire ». Ne rejetant pas toute utilisation du vocable « race », il n'a de cesse de montrer les liens étroits qui unissent le racisme, pris dans une acception neutre d'une conception de la division de l'humanité en races, et d'ethnocentrisme. L'Occident, plus que toute autre civilisation, a à souffrir de la critique de Lévi-Strauss, compte tenu de la position dominatrice qu'elle impose sur tout mode de pensée.
Par ailleurs, Lévi-Strauss revient dans ce texte sur les dangers et les limites que pose la méthode historique – longtemps critiquée pour ses verbiages descriptifs et ses récits sans conclusion – reprenant ça et là les observations proposées dans son article de 1949, « Histoire et Ethnologie ». Race et Histoire nous replace en ce sens dans un débat vieux de quelques années, opposant l'histoire à l'ethnologie, et qui trouve ses sources dans les articles de Henri Hausser et François Simiand, respectivement, « L'enseignement des sciences sociales » (1903), et « Méthode historiques et science sociale » (1903). Ainsi, l'anthropologie structurale permet, par l'établissement d'une « structure », d'établir un modèle de la face « inconsciente » d'une société, ne se bornant pas à de simples considérations générales ethnographiques mais autorisant la comparaison et l'analyse des différents modèles instaurés, cette comparaison avec « l'Autre » sans aucune référence ni au progrès, ni à l'évolutionnisme. Mais loin d'opposer l'histoire et l'ethnologie, Lévi-Strauss préfèrera toujours insister sur leur complémentarité : « c'est donc aux rapports entre l'histoire et l'ethnologie au sens strict, que se ramène le débat. Nous nous proposons de montrer que la différence fondamentale entre les deux n'est ni d'objet, ni de but, ni de méthode ; mais qu'ayant le même objet, qui est la vie sociale ; le même but qui est une meilleure intelligence de l'homme ; et une méthode où varie seulement le dosage des procédés de recherche, elles se distinguent surtout par le choix de perspectives complémentaires : l'histoire organisant des données par rapport aux expressions conscientes, l'ethnologie par rapport aux conditions inconscientes, de la vie sociale » (« Histoire et Ethnologie » in Anthropologie Structurale, 1985 [1956], p.31).
En conséquence, nous ne serons pas étonnés que les propos de l'ethnologue français aient déchaîné les foudres, peu enclins à accepter une relativisation des mérites de nos traditions. Nous souhaitons dans ce travail rétablir le plus honnêtement possible le contenu d'une pensée souvent mal comprise, mal acceptée, mais néanmoins extraordinairement révolutionnaire et subtile. Il nous faudra alors répondre à cette question posée par le document de l'UNESCO de 1952 : y a-t-il une contribution des races humaines à la civilisation mondiale ?
[...] Nous n'essayerons pas de chercher lequel de ces deux auteurs a vaincu les diverses joutes verbales ; remarquons simplement que notre dernière affirmation permet d'entrevoir un consensus relatif entre les deux pensées, une convergence certaine des opinions. Ce sera le rôle d'André Burguière de le réaliser. Il fait paraître en 1971 dans la revue des Annales de mai-août un article intitulé Histoire et Structure dans lequel il exprime son ambition d'une histoire s'attaquant elle-aussi aux structures inconscientes, non pas contre, mais au côté de l'anthropologie, rejetant la singularité des événements pris pour eux-mêmes, recherchant les caractères universels et persistants que nous offre le temps. [...]
[...] Ce qui est valable pour la langue l'est aussi pour l'art, les institutions sociales, la religion. De cette observation, Lévi-Strauss, sans y répondre, pose la question de l'existence d'un optimum de diversité Mais le plus important ne repose pas sur ces quelques remarques : la diversité n'est pas un problème seulement bilatéral entre deux sociétés, mais proprement interne : elle s'entend par la création de groupes, de castes, de classes, de milieux, de professions et cette diversification évolue lorsqu'évolue l'effectif social ; ainsi, l'hégémonie aryenne qui caractérise l'Inde ancienne en est-elle l'exemple. [...]
[...] Autant de documents dont les prises de position sont ethnocentriques, ne voyant dans l'histoire de ces sociétés qu'un progrès tout factice : ce progrès dépend de normes occidentales que les colonisateurs n'ont cessé d'inculquer à ces sociétés pendant des siècles, confondant socialisation et idée de progrès. Pour reprendre une expression de Marcel Hénaff, l'histoire narrée est celle des mutations provoquées par ces contacts L'historien doit se méfier non seulement du biais que son mode de pensée provoque, mais, de surcroît, de l'influence qu'il peut avoir sur la vie de ces indigènes. L'ethnocentrisme est alors une arme redoutable qui compromet toute bonne compréhension des civilisations et détourne les données disponibles du sens subjectif que les indigènes leur prêtent. L'histoire, selon Lévi-Strauss, doit en tirer plusieurs enseignements. [...]
[...] En ce sens, et contrairement au fonctionnalisme, l'histoire comme récit de la diversité ne peut représenter une épine dans les pieds du structuralisme, mais une aide à l'édification d'une structure. De la contre-attaque braudelienne au consensus d'André Burguière Pourtant pensée de la réconciliation, l'œuvre de Lévi-Strauss a trop souvent été perçue comme une menace de la part des historiens, à l'instar desquels Fernand Braudel, bien convaincu à défendre les Annales et les apports aux sciences sociales de Marc Bloch et Lucien Febvre. [...]
[...] Race et Histoire 1. Races et diversité des cultures Scientifiquement, il a été démontré que la notion de race n'avait aucun sens ; cependant, il y a un refus de Lévi-Strauss de réintroduire la vocable pour parler de contribution spécifique à un patrimoine commun et de refaire la doctrine raciste à l'envers. Reconnaissant cependant que le péché originel de l'anthropologie est d'avoir confondu les valeurs biologiques et les concepts de la sociologie et de la psychologie des cultures humaines, il constate que : - certes, il y a une originalité de chaque continent au niveau culturel, mais les causes n'en sont guère que géographiques, historiques ou sociologiques ; mais il s'agit là d'un lieu commun - le plus important est de souligner que l'humanité ne suit pas un développement uniforme et monotone mais qu'il existe une diversité intellectuelle, esthétique et sociologique parmi cette humanité. [...]
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