L'auteur de ce texte, paru dans la revue Genèses, est le sociologue Sylvain Laurens qui publia une thèse intitulée «Hauts fonctionnaires et immigration en France (1962-1981) – Socio-histoire d'une domination à distance ». À partir de cette recherche, il revient dans cet article sur la problématique de la conduite d'entretiens auprès de « dirigeants ».
[...] L'auteur soulève également la question du off et de l'autorisation préalable de l'interrogé à la publication d'extraits de son entretien ou d'archives personnelles et privées. Si le chercheur se soumet à l'autocensure, qui consisterait à ne pas utiliser ces données sous prétexte qu'il est dit de manière implicite ou explicite qu'elles sont privées, il prive la réflexion scientifique d'un pan important et qui peut être primordial dans l'analyse des relations sociales et de la représentation des acteurs dans un système. [...]
[...] En effet, le seul fait de voir en cet entretien, souvent obtenu difficilement, comme une relation inégale, en anticipant l'intériorisation de la domination de l'interrogé, conduit à une forme d'inhibition et d'autocensure qui nuiront forcément à la recherche. Il convient donc de se prévaloir de ce travers en allant au-devant de l'entretien et en recherchant des informations factuelles sur le fonctionnement de l'institution, la position de l'interrogé dans l'organigramme et la réalité de son travail quotidien. Le but est de s'affirmer dans sa condition d'expert et de dépasser ainsi la relation de domination asymétrique pour parvenir à s'imposer et à objectiver sa position. [...]
[...] Concernant l'utilisation des données recueillies au cours des entretiens et du problème du off il me semble que cette question relève de la déontologie, de l'éthique de la profession. C'est une question qui est souvent soulevée concernant la profession de journaliste, de par les différents scandales qui ont pu éclater suite à la diffusion de passages off de tel ou tel responsable politique. C'est une question que les chercheurs en sciences sociales ont à élucider car il est important de savoir ce qui peut être diffusé ou non, si tout peut être utilisé, y compris contre le gré de l'enquêté, au nom de la recherche scientifique Sur ce point, il est nécessaire que des règles communes de déontologie soient appliquées à tous. [...]
[...] La manipulation d'archives permet par exemple de confronter l'interrogé à des notes administratives dont il est l'auteur et donc de confronter deux registres de vérité : celui qu'assume provisoirement l'enquêteur en se faisant le gardien de la réalité historique et celui auquel prétend l'enquêté en vertu de son expérience. Cette méthode de confrontation aux archives peut paraître revêtir un caractère coercitif pour l'enquêté mais permet également d'inciter l'interrogé à s'exprimer sur les pratiques bureaucratiques et sur sa perception du rôle qu'il a (ou qu'il a eu) dans cette organisation, et d'éviter ainsi que l'entretien ne s'élève à des considérations trop générales. [...]
[...] Autre limite, ne pas utiliser ces confessions recueillies en off implique pour le chercheur de faire primer la volonté des dirigeants sur la mise en lumière de logiques de pouvoir, de logiques sociales, c'est-à-dire annexée son travail de recherche à la volonté des dominants et donc devenir lui-même complice de ce système et ne plus tenir sa place d'observateur neutre Enfin, Sylvain Laurens aborde la question, peu traitée par la littérature actuelle, de la diffusion des références canoniques en sciences sociales Il est en effet intéressant de constater que les élites disposent aujourd'hui de connaissances en sciences sociales et le chercheur se trouve confronter, dans ses entretiens avec les dirigeants, au danger de produire une analyse étroitement liée soit à une forme d'admiration et de sentiment d'infériorité, soit au contraire à un regard revanchard, soit même, et peut être est-ce là le biais le plus pernicieux, à un tropisme scolastique Sur ce point, Sylvain Laurens ne propose pas de réponse il laisse la question ouverte à la réflexion . En guise de conclusion, je dirai que cet article de Sylvain Laurens a le mérite de, non seulement proposer une forme de méthodologie de l'entretien des dirigeants claire et compréhension aux chercheurs novices, mais également de soulever le débat sur la déontologie du chercheur-enquêteur et sur la diffusion des connaissances en sciences sociales auprès des élites et de l'utilisation des schèmes d'analyse par celles-ci. [...]
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