Les paradoxes de l’ethnographie, Roger Caillois, 1974, société industrialisée, hommes de nature, populations les plus reculées
Premier paradoxe fondamental de l'ethnographe : s'intéresser aux us et coutumes des populations les plus reculées plutôt qu'à celles de ses pairs et compatriotes. Au-delà d'un simple sentiment de fascination et sublimation du lointain, il semble que ce soit un aspect purement créateur qui les pousse dans leur quête de connaissance. A cela s'ajoute le second paradoxe : détruire ou du moins participer à la disparition de l'objet d'étude.
[...] A cela s'ajoute le second paradoxe : détruire ou du moins participer à la disparition de l'objet d'étude. En envoyant dans les terres les plus reculées sciences et avancées technologiques, c'est illusoire de penser préserver les derniers hommes de nature contre cette effervescence technique. Leur état d'innocence ne peut perdurer dès lors que le scientifique introduit un matériel enviable. L'ethnographie contribue ainsi à sa propre fin, reléguant ses découvertes en une bibliographie qui ne se distinguera bientôt plus de l'archéologie ou de l'histoire. Les hommes sont naturellement ethnocentristes. [...]
[...] Pourquoi dès lors les sauvages seraient-ils différents ? S'étonner de ce comportement serait naïf. Bien sûr, c'est une désolation de voir disparaître peu à peu une culture bercée par son art et ses croyances. Mais il est vain de vouloir confiner les derniers indigènes dans les contrées les plus reculées alors que le monde de la technologie leur apporte de nouvelles commodités, commodités que l'ethnographe lui-même ne pourrait hypocritement abandonner pour une philosophie et un mode de vie en harmonie avec la nature. [...]
[...] L'Occident, pêcheur, tentateur, et bien que pratiquant tantôt ségrégation, tantôt assimilation, a su convaincre l'indigène à quitter son état de nature, troquant ses ustensiles de pierre et de bois pour une société industrialisée. Quand aux rares ayant pu échapper à la révolution mécanique, ils ne disposent que d'un bref sursis avant que de nouveaux ethnographes ne viennent disséquer les mœurs et coutumes de leur communauté. Mais ces scientifiques oublient-ils donc qu'ils descendent eux- mêmes d'une lignée de sauvages ? Comment peuvent-ils espérer confiner les derniers indigènes dans leur singularité alors que la technologie a été ramenée jusqu'à leurs portes ? L'évolution veut que le meilleur outil remplace le moins efficace. [...]
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