L'opinion publique est, dans les débats, souvent réduite aux résultats des sondages. Pourtant, c'est une notion bien antérieure à l'émergence de ces derniers. Philippe Cabin, dans "La construction de l'opinion publique" (premier article du dossier « La fabrique de l'opinion publique » diffusé sur www.scienceshumaines.com en 2006) distingue quatre étapes dans la naissance de cette notion.
Au 18e siècle, Rousseau serait le premier à l'avoir employée, pour parler des idées partagées par un peuple ou une nation, mais avec une connotation péjorative de conservatisme. A la fin du 18e siècle, l'opinion publique devient le propre des intellectuels et de la bourgeoisie éclairée, qui discutent entre eux dans des salons. Il s'agit là de la constitution d'une sphère publique, qui émerge des besoins d'émancipation. Le 19e siècle voit l'apparition des mouvements sociaux tels que la manifestation, la grève, et celle également des syndicats et partis politiques : ces nouvelles revendications forment l'opinion publique. La quatrième et dernière étape est celle des sondages, qui ont été conçus pour justement comprendre les attentes des peuples.
Aujourd'hui, l'usage des sondages s'est généralisé, allant de la simple enquête d'opinion, au sondage électoral. Les instituts de sondage se multiplient, et n'ont guère de peine à trouver client, entre les grandes firmes, soucieuses de connaître l'avis du consommateur, et les hommes politiques. Ce sont ces derniers qui en font un usage des plus immodérés, mais également des plus contestables, utilisant le sondage comme légitimation de leur politique et outil démocratique infaillible, puisque scientifique. C'est cet usage faussement démocratique des sondages que P.Bourdieu dénonce dans son célèbre article : « L'opinion publique n'existe pas », écrit en 1972. P. Bourdieu est un sociologue français, né en 1930, et mort en 2002. Il est surtout célèbre pour ses travaux sur les mécanismes de reproduction sociale.
[...] Cette enquête ne permet donc pas de savoir si l'opinion publique existe, mais sur quels thèmes il peut exister des opinions et comment les recueillir. Ainsi, selon ces auteurs, les sondages d'opinion ne sont pas vains, contrairement à ce que pourraient laisser croire les critiques qui abondent contre ces derniers. Par ailleurs, certains récusent l'idée que nous serions aujourd'hui dans une démocratie d'opinions, dans laquelle le personnel politique se base pour mener son action sur des sondages, sondages qui ne sont en fait que le fruit de la volonté de ces mêmes hommes politiques. [...]
[...] L'imposition d'une problématique Il s'agit là de la première critique que Bourdieu adresse aux sondages : ils interrogent les gens sur des questions que ces derniers ne se posent pas nécessairement. Une problématique subordonnée à une demande politique On sait que les plus gros clients des instituts de sondage sont les hommes politiques. Ces derniers imposent une problématique politique aux enquêtes, problématique qui commandera nécessairement la signification des réponses, et la publication des résultats. Bourdieu prend l'exemple des questions portant sur l'enseignement, avant et après mai 1968. Avant, les questions portant sur l'enseignement étaient plutôt rares. [...]
[...] Bourdieu remis en question Cet article a été très largement critiqué, notamment sur l'idée que toutes les opinions ne se valent pas. Emmanuel Rivière et Delphine Martelli-Banegas se sont attachés à montrer dans une étude menée par le CEVIPOF et intitulée La démocratie à l'épreuve. Une nouvelle approche de l'opinion des Français que les trois postulats que Bourdieu récuse restent valables. Cette enquête a permis de répondre aux critiques à partir d'expériences qui remettent en cause les techniques et objectifs habituels des sondeurs. [...]
[...] Par ailleurs, Bourdieu affirme que l'analyse scientifique des sondages d'opinion montre qu'il ne peut y avoir de sujet qui fasse réellement consensus. Toutes sont en fait réinterprétées en fonction de la personne à qui on les pose, qui les considérera différemment en fonction de sa place dans la hiérarchie sociale par exemple. En effet, des questions qui portent sur la morale par exemple seront traitées comme des questions éthiques par certains, et politiques par d'autres. Comme on l'a vu, les enquêtes d'opinion imposent une problématique politique, et traiteront donc les réponses en tant que telles. [...]
[...] La situation créée par ces questionnaires est donc complètement artificielle et en tous points éloignée de celle à laquelle on pourrait être confronté en temps de crise. Crise qui selon l'auteur produit un effet de politisation L'opinion : expression collective de groupes, ou la loi du plus fort Ainsi, dans des situations de crise, les gens sont devant des opinions constituées, soutenues par des groupes : l'individu choisit donc parmi ces groupes, définis politiquement. C'est en fonction de ces groupes que les individus pourront se situer politiquement, et donc élaborer leur opinion politique sur un sujet traité. [...]
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