L'ouvrage dirigé par Henrika Kuklick, professeur d'Histoire et de Sociologie des Sciences à l'Université de Pennsylvanie, s'inscrit clairement dans une perspective déconstructiviste. C'est en ce sens que peuvent être compris les propos de Nélia Dias, dans son compte-rendu du même ouvrage pour la revue française d'anthropologie l'Homme, lorsqu'elle évoque « une véritable nouvelle histoire de l'anthropologie ».
Cette déconstruction passe en premier lieu par l'interrogation sur les conditions de production des savoirs scientifiques – et ici anthropologiques. L'étude dissociée (mais non séparée) des différentes traditions nationales, qu'elles soient américaines, britanniques, françaises, allemandes et même nordiques en est l'aspect le plus criant. Il en va de même concernant l'organisation sociale de ce champ scientifique et de ses implications lorsque Rena Lederman, reprenant les conclusions de Richard Fardon dans son article intitulé Anthropological Regionalism, note que « connaître (et être connu) sur sa “place” est important [pour les anthropologues] en termes de réexamen de manuscrit, embauche et évaluations de titularisation » (p. 311).
[...] Kroeber traduit la virulence de cette controverse interne au champ anthropologique. Très à propos, Nélia Dias relève le dialogue constamment entretenu entre le passé du savoir anthropologique et le présent au sein du recueil. Cette dialectique s'illustre clairement par l'extension des bornes historiques, qui ouvrent et ferment, dans un même mouvement, l'ouvrage lui- même. Henry Lieberson se penche, dans son Anthropology before Anthropology, sur les discussions que les Européens eurent à propos des peuples étrangers avant qu'ils n'aient eu un label disciplinaire pour décrire leur intérêt (p. [...]
[...] Cependant, une constante semble se dégager, celle de l'impact de la Seconde guerre mondiale sur le champ anthropologique comme sur tant d'autres. Enfin, qu'il s'agisse d'une forme de zeigeist ou bien d'un phénomène plus banal de diffusion progressive des innovations et paradigmes scientifiques, certains décalages intéressants semblent pouvoir être décelés sans qu'ils soient explicités. En effet, dans Visual Anthropology, Anna Grimshaw indique que le destin des intermédiaires anthropologiques dans une situation politique en changement rapide fut préfiguré dans le film de MacDougall, Takeover [en 1979]. [...]
[...] Localizing strategies: regional traditions of ethnographic writing. Edinburgh: Scottish Academic Press; Washington: Smithsonian Institution Press p 58 p p Nombreux sont ceux qui louèrent les efforts de Stocking pour l'établissement d'un ensemble méthodologique standard pour les anthropologues, qui n'étaient pas habitués à utiliser les techniques des historiens professionnels (telle que la recherche archivistique), alors que d'autres pensaient que les anthropologues apprendraient les méthodes historiennes plus facilement que les historiens ne pourraient apprendre à penser comme des anthropologues. (p. 36) Les tenants de l'anthropologie en tant que science comme connaissance affirment qu'utiliser l'anthropologie pour formuler des changements sociaux planifiés viole deux principes basiques: le relativisme culturel, qui proscrit le jugement de n'importe quelle société donnée avec les valeurs d'une autre, et la pureté des données, le standard scientifique selon lequel la contamination des données par l'activité du chercheur doit être minimisée. [...]
[...] En ce qui concerne ces apports, ou d'autres éléments évoqués précédemment, l'objectif affiché de déconstruction de cet ouvrage permet de mieux comprendre les débats ayant parcouru la discipline au cours de son histoire. Un de ceux-ci eu justement trait à l'histoire de l'anthropologie elle-même et son traitement : par qui ? Comment ? Pourquoi ? Certains anthropologues, à l'image d'Alfred I. Hallowell, estimèrent l'histoire de l'anthropologie comme un problème anthropologique alors que celle-ci commençait à émerger en tant que sujet d'étude dans les années 1960[6]. [...]
[...] George W. Stocking, Jr., entre autres, s'attela alors a établir un ensemble méthodologique[7] utilisable par les anthropologues eux-mêmes avant que la controverse ne se résolve dans l'attention portée par l'historien de l'anthropologie à se situer [ ] par rapport aux enjeux de son sujet et ses modes privilégiés d'interprétation (p. 35). À l'inverse, la question de la race, née en grande partie de l'influence du darwinisme et des premiers pas de la génétique, et qui avait opposé anthropologie socio-culturelle et biologique une autre division, cette fois-ci en termes de sous-champs semble s'être résolue en faveur des positions de longue date défendues par l'anthropologie socio-culturelle. [...]
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