Paul Veyne, qui est aujourd'hui considéré comme un des meilleurs historiens de l'Antiquité romaine, fut l'un des auditeurs les plus attentifs des cours que Michel Foucault donna au Collège de France de 1970 à 1984, année de sa mort. La présence de cet auditeur est importante pour trois raisons ; d'abord, Paul Veyne a fait partie des rares étudiants qui assistaient aux séminaires de Foucault, rares parce que Foucault était le seul professeur à leur demander de travailler pour les séminaires – pratique étrangère à l'esprit de l'institution, mais à laquelle Foucault avait recouru pour éviter l'effet de " mode " lié à son cours, et pour s'assurer que les séminaires seraient réellement des lieux d'échange avec les étudiants. Ensuite, dans un ouvrage intitulé Comment on écrit l'histoire, paru au Seuil en 1971, Veyne consacre un chapitre à Foucault qu'il appelle " Comment Foucault révolutionne l'histoire ", inspiré par le premier cours que Foucault prononça au Collège de France, intitulé " La volonté de savoir ", et qui devait donner naissance à la première partie de son Histoire de la sexualité, mais aussi par la leçon inaugurale (parue chez Gallimard sous le titre, qui est déjà un résumé de la méthode foucaldienne, L'Archéologie du savoir) et ses ouvrages. Enfin, P. Veyne est lui-même Professeur au Collège de France depuis 1976, et, outre qu'il n'est pas commun de voir un " ponte " de l'Université – comment désigner autrement un Professeur ayant une chaire dans cette institution considérée comme l'aboutissement de la carrière des meilleurs chercheurs français ? – assister, comme un étudiant, aux séminaires d'un collègue, il a été manifestement inspiré, dans son travail, par la " révolution foucaldienne " ; on le voit par exemple lorsque, dans Le Pain et le Cirque, il analyse la technologie du pouvoir des empereurs romains.
Michel Foucault, nommé au Collège de France sur la recommandation de Fernand Braudel après quelques mois décevants à la tête de l'UFR de philosophie du Centre universitaire expérimental de Vincennes, a donc enthousiasmé ses auditeurs, tout comme il enthousiasme les lecteurs de ses cours, publiés depuis 1998 sous la direction de François Ewald, son secrétaire rue des Ecoles. Malgré quelques regrets sur le manque d'" interactivité " du cours, Foucault a aussi aimé enseigner au Collège de France, car le principe de cette " école d'élite ouverte à tous " – présenter chaque année en cours une recherche originale – lui convenait parfaitement. Le cours sur les anormaux, prononcé en 1975, est le deuxième à être publié après le cours de 1976, intitulé " Il faut défendre la société " ; comme ce dernier, il ne peut être rattaché à un ouvrage antérieur ou postérieur du philosophe, mais on y retrouve, à propos d'un thème qui est au centre de ses analyses (celle des anormaux comme objet privilégié de la normalisation de la société par le pouvoir judiciaro-médical), des éléments de tous ses grands livres, de L'histoire de la folie à l'âge classique à Surveiller et punir, en passant par Les Mots et les Choses. Une Archéologie des sciences humaines. Je ne vais pas tenter de montrer tous les liens entre le cours et les ouvrages de Foucault, mais il est clair que cette réflexion sur les anormaux est à la fois au carrefour de ses études " pratiques " (sur les asiles, cliniques, prisons, etc.) et au cœur de ce qu'on pourrait appeler sa " théorie archéologique " des savoirs, des pouvoirs et de leurs relations.
Je vais m'attacher à détailler deux points de la réflexion de Foucault qui me paraissent essentiels dans ce cours, et que j'essaierai de rattacher (pour montrer en quoi l'analyse de Foucault reste pertinente) à des phénomènes qu'on peut observer dans les pays " développés " depuis les années 1980 ; l'intériorité du pouvoir par rapport à la société et le délinquant comme objet de la normalisation.
[...] C'est précisément ce qu'il appelle les technologies positives de pouvoir ; le nouveau pouvoir " fabrique, sait et se multiplie à partir de ses propres effets " (p. et a selon lui trois caractéristiques ; utilisant la discipline pour " normaliser " les individus, il a un rôle productif plus que répressif. En outre, il n'est pas superstructurel mais intégré au " jeu des forces " ; c'est un pouvoir inventif. Enfin, son exercice est essentiellement lié à la formation d'un savoir, et d'un savoir extrêmement précis. [...]
[...] On le voit encore aujourd'hui à travers l'importance des dispositifs de " réinsertion " ; les jeunes " sauvageons " de banlieue doivent effectuer des " TIG " ou passer quelques semaines dans des casernes pour être " rééduqués Ces jeunes posent problème, car ils se situent au carrefour de l'incorrigible et du monstre ; j'ai entendu un avocat en parler comme de " porcs " sociaux, refusant de se plier aux règles les plus naturelles de la justice comme ne pas insulter un magistrat. [...]
[...] On voit bien, en outre, dans quelle mesure ce type de déploiement du pouvoir préfigure l'actuel quadrillage des Etats modernes par des commissariats, hôpitaux, etc. Il est frappant de se rendre compte que cette idée de connaissance fine permettant une intervention " chirurgicale " (dont on a encore vu un exemple au moment de la tempête de décembre 1999, où un état des lieux très précis a pu être dressé en quelques heures) n'a rien de " naturel mais procède d'une construction historique bien déterminée, que Foucault analyse. [...]
[...] assister, comme un étudiant, aux séminaires d'un collègue, il a été manifestement inspiré, dans son travail, par la " révolution foucaldienne " ; on le voit par exemple lorsque, dans Le Pain et le Cirque, il analyse la technologie du pouvoir des empereurs romains. Michel Foucault, nommé au Collège de France sur la recommandation de Fernand Braudel après quelques mois décevants à la tête de l'UFR de philosophie du Centre universitaire expérimental de Vincennes, a donc enthousiasmé ses auditeurs, tout comme il enthousiasme les lecteurs de ses cours, publiés depuis 1998 sous la direction de François Ewald, son secrétaire rue des Ecoles. [...]
[...] En réalité, explique Foucault, la justice moderne ne punit pas le crime, mais le criminel, et, au-delà, le délinquant, l'être dangereux. Une expertise peut faire condamner un homme alors même que sa culpabilité réelle est douteuse ; ainsi, l'expertise que Foucault cite dans l'affaire Louise Labbé commence par " Il ne nous est pas possible de nous prononcer sur la culpabilité de car il n'a pas encore été jugé et se termine par " Il est donc coupable De plus en plus, on va chercher à atteindre le criminel en puissance, le délinquant potentiel ; l'obnubilation du danger (qui permet à la psychiatrie de s'imposer comme science) fait que l'important est de corriger plus que de punir. [...]
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