"Les pages qui viennent poursuivent un but qui, pour être nietzschéen, reste modeste: elles entendent nuire à la bêtise identitaire en esquissant une problématisation anticulturaliste des rapports entre culture et politique."
L'illusion identitaire paraît en 1996, soit la même année que Le choc des civilisations de Samuel Huntington, et s'y oppose point par point ! Alors que ce dernier mène un raisonnement culturaliste où il oppose huit grandes aires de civilisations, calquées sur des religions, J-F. Bayart affirme qu'il est illusoire de rechercher à l'échelle mondiale l'existence de groupes d'appartenance définis par une culture stable et hermétique, et qui devraient laisser craindre des affrontements frontaux entre elles. Spécialiste de politique comparée, travaillant sur la sociologie historique de l'Etat et les imaginaires politiques, principalement en Afrique sub-saharienne, Turquie et Iran, J-F. Bayart va utiliser ces exemples pour montrer qu'il est donc impossible d'attacher à des cultures que l'on pourrait définir des volontés ou des pratiques politiques correspondantes. En refaisant le chemin fait par l'auteur, nous allons voir comment il est possible d'établir la culture comme une construction, pour voir ainsi que l'identité ne répond pas à un principe de détermination univoque et enfin que l'idée d'une détermination identitaire du politique est discutable.
[...] Mais en fonction du contexte dans lequel ils sont reçus, ces schémas et les éléments cognitifs, émotionnels, symboliques qu'ils comportent vont être réinterprétés ce qui leur confère une nouvelle ambivalence qui peut aller jusqu'à la surinterprétation : par exemple, l'imaginaire du complot agit comme une "prophétie autoréalisante" dans des pays tels que le Rwanda ou le Burundi dans la mesure où la qualification "d'ethnique" du conflit structure la vision des parties en présence à tel point qu'elles-mêmes intériorisent la volonté des autres de les exterminer. C'est pourquoi une bonne analyse de l'herméneutique politique nécessite une compréhension des supports politiques. [...]
[...] En se demandant si ces identités sont des tableaux de pensée ou tables de la loi, J-F. Bayart introduit, toujours par opposition à l'idée d'une culture qui serait le guide unique de notre mode d'action et de notre système de pensée, la notion de "répertoires culturels". Ceux-ci permettent de déconstruire les agrégats auxquels on a assimilé les "cultures", en étant l'expression même des différents apports qui leurs sont faits. Ceux- ci permettent d'élargir notre vision du lien entre opération culturelle et intentions politiques, puisqu'ils envisagent ces derniers comme étant des fruits des répertoires culturels, qui vont l'orienter en fonction d'une position dans laquelle se place l'acteur au sein de la société, en fonction des références faites aux différentes composantes qu'il considère forger son identité propre. [...]
[...] Tout d'abord, il déconstruit la "dimension culturelle du miracle japonais", dont les origines reposent à la fois dans une construction historique des années 30 et une interprétation culturaliste faite dans les années 70. Le fait que certaines pratiques culturelles, certes observables au Japon, ne suffisent pas à expliquer toutes les actions politiques et économiques, dépendant bien évidemment de facteurs extérieures plus complexes, permet par ailleurs de pointer du doit l'idée même de "culture" : en effet, le fait de considérer une culture supposée comme un tout présente le risque de considérer tout désordre, toute lutte sociale dans une configuration établie, comme une anomalie exprimant des comportements déviants. [...]
[...] On peut considérer la question de la cuisine ou de l'habillement comme politiques dans la mesure où, si elles s'insèrent dans des pratiques sociales, présentent des enjeux de pouvoir et de statut entre les individus. Toutes ces pratiques composent une sémiotique politique, puisqu'en arborant des signes un individu se revendique d'un groupe et d'un "style de vie" qui intègrent des valeurs, des idées normatives, morales au sein de la Cité, et donc influencent son rapport au politique. Ainsi, si l'imaginaire est un principe d'inachèvement, c'est car des processus imaginaires donnent naissance à des figures imaginaires que les individus retranscrivent par des pratiques matérielles. [...]
[...] Ce faisant, ils se sont livrés à une invention conjointe de la tradition, mais sur le mode du malentendu opératoire puisque les objectifs n'étaient pas les mêmes. Cela permet néanmoins de voir que le culturalisme est un des modes de communication à l'échelle globale puisque, très clairement, il facilite par son simplisme des interactions entre un nombre grandissants d'acteurs du système international. En étudiant enfin les rapports entre christianisme et globalisation en Afrique, nous pouvons comprendre comment se réalise la synthèse entre l'affirmation d'une singularité locale et la globalisation, par l'entremise de l'illusion culturaliste. [...]
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