Sociologue et directeur de recherche au CNRS, Philippe Robert a créé et longtemps dirigé le CESDIP, centre spécialisé dans les recherches sur la délinquance. Il dirige actuellement le GERN, un réseau scientifique européen. Son premier livre portait sur les Bandes d'adolescents (1966), son plus récent sur Le citoyen, l'Etat et le crime (1999). Il a aussi dirigé avec Laurent Muchielli, Crime et sécurité, l'état des savoirs (2000).
L'insécurité semble devenir une obsession de la société française. Mais de quelle insécurité s'agit-il ? Dans l'océan des motifs d'inquiétude qui angoissent notre société, la menace que l'agression ou le vol font peser sur la sécurité des personnes et de leur bien occupe une place surprenante. La délinquance tourmenterait tellement notre société qu'elle se serait hissée au premier rang de ses problèmes… et pas n'importe quelle délinquance, mais celle qui peut menacer directement chacun d'entre nous.
L'émergence de cette insécurité est assez précisément datée : elle remonte à la deuxième moitié des années 1970. On considère désormais la criminalité comme un risque de masse qu'il faut maintenir sous contrôle pour s'épargner des réactions sécuritaires ravageuses. La lutte est aiguë pour savoir quelle priorité il convient d'accorder à chaque délinquance. On s'interroge parallèlement sur le maintien du monopole de l'Etat national. De plus, la délinquance est appréhendée maintenant en terme de sécurité. Pour cette raison, la seule criminalité qui retient l'attention est celle qui atteint directement chaque individu.
La fascination pour cette insécurité entraîne l'éclosion d'une multitude de livres ou d'articles. Mais le débat public sur l'insécurité se réduit, le plus souvent, à des échanges de diatribes entre ceux qui veulent mater les sauvageons et ceux qui hurlent à la discrimination… On peut au contraire être compréhensible sans sacrifier les nuances. Trois choix me semblent alors fondamentaux. D'abord, savoir s'éloigner de l'actualité immédiate pour raisonner sur la durée. Ensuite, à propos de chaque aspect du problème, croiser plusieurs sources d'information, les statistiques officielles de la délinquance avec les résultats des enquêtes de victimation, les différentes enquêtes sur l'insécurité les unes avec les autres… Enfin, ne se lancer à expliquer que ce que l'on a longuement étudié par soi-même.
Quel est l'état du problème ? Que peut-on en dire de probable ? (chapitre I)
Comment l'expliquer ? Comment le comprendre ? (chapitre II)
Quelles politiques publiques ont été mises en œuvre et quelle évaluation en faire ? (chapitre III)
[...] La sécurité publique est négligée au profit de l'ordre ou de son apparence. Dans la violence diffuse d'une partie de la jeunesse des banlieues en difficulté, beaucoup tient à la pérennisation d'une période de latence et de désœuvrement : ils ont raté l'entrée dans la filière qualifiante d'une scolarisation longue. Aux vandalismes, à la violence et aux dégradations, répondent en écho l'absence d'entretien, le laisser-aller, l'inertie des responsables. Et d'ailleurs, qui est responsable ? Souvent, on se renvoie la balle. [...]
[...] Sans supprimer ce type de prévention, les maires ne vont pas lui donner la chance d'un nouvel essor ; il végétera désormais. La commission des maires aurait pu privilégier l'autre forme de prévention spécialisée, celle qui se préoccupe d'aider les victimes. Malgré l'absence de moyens propres de financement, de 1983 à 1986, des centaines de comités communaux de prévention de la délinquance ont vu le jour. Au cours de la décennie 1990, une série de dispositifs sont venus nourri la politique de la Ville zones franches urbaines zones d'éducation prioritaire (ZEP) à travers une série de contrats entre l'Etat et les autorités locales. [...]
[...] L'on se heurte en fait au redoutable cercle vicieux des prohibitions. C'est en partie l'intensité de la répression de l'usage de stupéfiants, qui a augmenté à une allure soutenue dans les années 1990, qui alimente la croissance totale de la statistique policière. Il s'agit d'infractions sans victime. Conséquence du contraste entre ce que la police enregistre sans le traiter et ce qu'elle enregistre parce qu'elle l'a traité, les infractions sans victime occupent dans l'activité policière une part disproportionnée. On le comprend en considérant la vraie statistique policière, celle qui rend compte de ce qu'elle fait et non de ce qu'elle enregistre. [...]
[...] Pour le moment tout au moins, leur avenir n'est pas clair. On a créé un néoprolétariat de la sécurité, dont il est possible qu'il préfigure une nouvelle forme d'intervention préventive appelée à se développer durablement. Encore faudrait-il le tirer de sa précarité et définir la spécialité de son intervention et de ses modalités. Actuellement, la prévention privilégie en fait des stratégies surtout défensives. On n'a pas réussi à refonder des modalités plus actives analogues à celles que représentaient naguère les éducateurs de rue. [...]
[...] La marque d'intérêt pour la petite délinquance ne va peut-être pas beaucoup plus loin qu'un enregistrement. Mais ce changement d'attitude a une conséquence statistique : en tendance, les données policières sous-estiment le tassement de la délinquance patrimoniale. Un palier haut après une vive croissance En fin de compte, les enquêtes confirment que la délinquance d'acquisition stagne globalement depuis le milieu des années 1980 mais à un très haut niveau. Ici, comme pour la violence, les deux sources divergent beaucoup sur les ordres de grandeur de la délinquance, mais elles convergent globalement sur les tendances. [...]
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