Cette étude, consacrée à l'impact des prix littéraires, est une des premières publiées en France. Seule une thèse avait abordé le sujet des prix littéraires. L'auteur n'a pas pour but de déceler les mécanismes de l'attribution des prix ou de contester ceux-ci, mais seulement d'analyser « l'après », les réactions d'ordre moral, intellectuel, et psychologique des lauréats. Les études de cas, ces « récits de vie », sont un point de départ à une réflexion plus ample et générale : la difficile et douloureuse acceptation des écarts de grandeur qui se créent quand un événement extérieur, de cette ampleur, ébranle le quotidien des individus. Dépersonnalisation, culpabilité, élargissement du cercle social et paradoxalement perte des amis et de la famille proche dans ce même cercle… Tous ces bouleversements sont traités par Nathalie Heinich de façon précise, décortiqués morceau par morceau pour comprendre cette divergence entre les états de soi à des moments divers, et entre soi et autrui.
[...] C'est pourquoi elle choisit une méthode qualitative, plutôt que quantitative, qui aurait pour résultat de minimiser l'apport en données à étudier. L'échantillon est composé de sept lauréats de prix littéraires : Claude Simon, prix Nobel 1985 ; Jean Rouaud, prix Goncourt 1990, pour un premier roman, Les Champs d'honneur ; Annie Ernaux, prix Renaudot 1984, pour La Place ; Emmanuèle Berheim, prix Médicis 1993, pour Sa femme ; Michel Tournier, prix Goncourt 1970, pour Le Roi des Aulnes ; Andreï Makine, prix Goncourt et Médicis 1995, pour Testament français ; Jacques Chessex, prix Goncourt 1973, pour L'Ogre. [...]
[...] Eux-mêmes ne doivent pas s'en douter, pas tout de suite en tout cas. C'est pourquoi cet ouvrage est particulièrement intéressant, car il met en avant des sentiments, des symptômes d'une maladie dont on ne connaissait pas l'existence. Il convient parfaitement aux lecteurs étudiants en sociologie par exemple qui souhaiteraient procéder à un entretien qualitatif, comme l'a fait Nathalie Heinich auprès des écrivains, et ne pas se contenter d'un questionnaire qui ne fournit que des informations restreintes, et ne conviendraient pas à leur sujet d'étude. [...]
[...] L'auteur a choisi de noter en marges (marginalia) les thèmes abordés par les auteurs, ce qui lui a permis de construire la partie analytique de l'ouvrage. Cette partie apporte des réponses du point de vue des auteurs. Dans une deuxième partie, Nathalie Heinich s'écarte ensuite du sujet central que sont les lauréats des prix littéraires, et élargit son analyse à toute personne ayant connu une réussite et devant affronter l'épreuve de la reconnaissance. Elle livre une réflexion plus théorique centrée non plus sur l'objet de l'étude l'épreuve de la reconnaissance que représentent les prix littéraires mais sur sa problématique les écarts de grandeur (p. 182). [...]
[...] En effet, une incohérence de soi se manifeste quand un changement soudain vient perturber le juste équilibre de l'identité maintenu par trois constantes : l'autoperception (l'image que l'on a de soi), la désignation (celle que renvoie autrui), la représentation (celle que l'on donne aux autres). Il s'agit d'un livre, complexe et assez technique, mais passionnant, qui donne une dimension nouvelle aux prix littéraires, et surtout aux lauréats, qu'on ne pourrait soupçonner de vivre une crise identitaire. Ces derniers emportés par l'image médiatique et les accusations lancées aux éditeurs, nous ne percevons pas le malaise qui peut les habiter sur le moment et après l'attribution. [...]
[...] Elle entraîne une crise identitaire, même si cela peut paraître paradoxal d'associer réussite et épreuve douloureuse ressentie par chacun avec des degrés différents d'intensité La grandeur, pour être pleinement acceptée et reçue comme telle par la personne, doit coïncider avec un minimum de justice, autrement d'équivalence entre ce qui est reçu et ce qui a été donné, entre la gloire et le mérite, entre l'admiration des foules et la réalité du talent de l'auteur (p. 18). Sans cela, l'écrivain ne parvient pas à s'attribuer la reconnaissance, et encore moins à en profiter. Il est enfermé entre deux moments de son identité qu'il n'arrive pas à rapprocher, celui de l'autoperception et celui de la désignation comment il se voit et s'identifie, et comment les autres le désignent. Il tombe dans la culpabilité et se sent pris pour quelqu'un d'auteur, mettant en péril son activité même d'écriture. [...]
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