Dans cet ouvrage Patricia Jeffery, sociologue, réfléchit sur le mode de vie des femmes respectant la stricte purdah, plus particulièrement celui des pirzade : familles vivant autour de la tombe du saint soufi Hazrat Nizamuddin Auliya, dans le sud de Delhi. Elle met en lumière les multiples forces sociales que crée, nourrit, et perpétue cette pratique de la purdah, autrement dit le cloisonnement des femmes devant échapper au regard des hommes ; celle-ci prend généralement deux formes : le port de la burqua lorsque la femme sort de chez elle (le plus exceptionnellement possible), et la séparation des lieux de vie des hommes et des femmes dans les maisons.
L'auteure veut ici rendre compte d'un système plus complexe qu'il n'en paraît au premier abord (en particulier pour des occidentaux sceptiques qui ne pourraient y voir que l'isolement obligé des femmes tant il s'éloigne de la plupart des traditions non-musulmanes d'aujourd'hui), en le proposant dans une perspective élargie et nuancée, révélant ainsi ses ambiguïtés. Elle insiste notamment sur le fait que le système perdure, car il s'auto-entretient, chacun y trouvant un intérêt relatif : en effet les femmes, si elles se dénomment elles-mêmes ‘frogs in a well', restent ambivalentes sur la pratique de la purdah.
[...] Selon elle, - Les hommes empêchent les femmes de s'organiser : elles sont maintenues isolées, occupées chez elles. D'autant plus qu'elles ne sont pas indépendantes économiquement, et ne peuvent donc pas prendre le risque de s'opposer. - Il n'existe par ailleurs aucune force unie des femmes contre les hommes, car elles ont peu de perception de leurs intérêts communs. Ainsi les relations entre les femmes des différents foyers dépendent des relations entre leurs maris sur le lieu saint : elles sont donc indirectement en compétition pour les revenus provenant de la tombe. [...]
[...] L'interdépendance hommes/femmes est bien réelle mais reste très asymétrique, en défaveur des femmes. Dans son quatrième chapitre intitulé Legitimacy and Concord P.Jeffery veut démontrer que l'économie asymétrique entre hommes et femmes évoquée dans les deux précédents chapitres n'est pas la seule explication de la perpétuation de la purdah à Hazrat Nizamuddin. Elle est en grande partie liée à ce que l'auteure appelle le taken-for- granted world des femmes pirzada, c'est-à-dire à un ensemble de considérations perçues comme acquises et jamais questionnées ; ainsi : - Il est communément acquis que les Syed sont supérieurs aux non-Syed, et se marient donc entre eux (système s'entretient) - Ce sont les hommes qui travaillent, et qui doivent faire vivre leurs femmes - Les femmes doivent donc éviter de travailler hors de chez elles, de gagner un revenu propre. [...]
[...] Le deuxième chapitre Priestly Power décrit de façon plus détaillée le pouvoir économique des hommes, pour comprendre par là même la dépendance des femmes à leurs maris. Pour maintenir celle-ci, il est important pour eux d'exclure leurs femmes du lieu de pèlerinage ; persuadées de leur infériorité, elles se cantonnent aisément aux travaux domestiques (tâches qui seront élaborées dans le prochain chapitre), tandis que les hommes sont chargés de rapporter de quoi faire vivre la famille. Ce sont eux qui gèrent ensuite les revenus de leurs activités, aucune part ne revenant directement aux femmes qui sont maintenues dans l'ignorance de ce qui se passe autour de la tombe du saint. [...]
[...] Ceci justifie sa pratique hors- Islam également. L'auteure met rapidement en évidence la dépendance économique de la femme qui ne travaille pas à l'homme qui est chargé des revenus de la famille : le fait même de pouvoir respecter la purdah témoigne d'un statut social suffisamment élevé pour que le foyer puisse se passer des revenus de la femme. Encore une fois ce lien entre une relative aisance économique et l'isolement des femmes permet d'appréhender la purdah comme n'étant pas uniquement une institution islamique. [...]
[...] Les jeux de dépendance entre le ‘monde des hommes' et le ‘monde des femmes' y sont encore très présents. Certes, l'accès à la radio, à la télévision introduit un élément de comparaison pour ces femmes qui entendent discuter de leurs droits ; mais la fonction sociale de la purdah, les notions d'honneur, de modestie et de respect de la tradition qu'elle véhicule ont encore le dessus. L'ouvrage est également intéressant car, comme l'auteure l'a brièvement évoqué en introduction, il ne se réduit pas à une simple tradition islamique mais touche aussi des milliers de femmes dans des sociétés non islamiques : c'est la condition des femmes dans un sens plus large qui est ici abordée de façon sous-jacente au fil de l'ouvrage. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture