La science a-t-elle quelque chose à dire sur le bien fondé de nos actions ? Et, au regard de quoi ? Peut-être des règles sociales ? Si tel est le cas, il faut alors trouver où celles-ci s'expriment le mieux. Voyant progressivement dans la religion un des lieux les plus favorables à l'élucidation de ces règles, c'est au milieu des années 1890 que Durkheim en fera un des objets les plus cruciaux pour l'élaboration de la discipline sociologique. La publication, en 1912, des Formes élémentaires de la vie religieuse vient confirmer l'importance de cette question.
Dès lors, il suppose qu'il ne peut y avoir de vie sociale qui ne comporte une dimension religieuse, des rites et des croyances qui s'impliquent mutuellement et fassent système. La connexion entre rites et croyances lui apparaît si forte qu'il ne peut concevoir les uns sans les autres. De même qu'une morale solide et vivante ne peut exister sans un ensemble de croyances communes, un système de représentations ne peut subsister sans l'énergie que mettent les hommes à y conformer leurs actions.
Aux yeux de Durkheim, l'étude des sociétés primitives devrait permettre de mieux saisir la vie religieuse en général, mais aussi, offrir une clef de lecture de la vie sociale dans son ensemble. Dans une préface de L'Année sociologique , il écrit que la religion « contient en elle, dès le principe, mais à l'état confus, tous les éléments qui, en se dissociant, en se déterminant, en se combinant de mille manières avec eux-mêmes, ont donné naissance aux diverses manifestations de la vie collective ».
Son point de départ est donc l'analyse des institutions les plus simples ou les plus primitives où s'exprime le fait religieux. Il va ainsi procéder à une analyse détaillée du système de clans australiens et du totémisme. C'est de cette analyse du totémisme primitif que Durkheim va tirer sa théorie de la nature sociale du fait religieux. Si la religion lui paraît être une chose éminemment sociale, c'est parce qu'il considère que l'origine des croyances religieuses se trouve dans une force fondamentale et centrale qui est au cœur de toute société. Le religieux revêt une importance d'autant plus grande qu'il est, selon lui, à l'origine de la pensée scientifique.
Les Formes élémentaires de la vie religieuse est composé de trois livres. Dans le livre I, Durkheim s'attache à définir le phénomène religieux, à répondre aux principales objections sur la nature du phénomène religieux, à énumérer les conceptions élémentaires de la religion élémentaire (exemple de l'animisme) et d'autres conceptions du phénomène religieux (exemple du naturisme). C'est ensuite que Durkheim va faire l'analyse du totémisme comme fait religieux primitif.
Le livre II est un livre essentiel où Durkheim s'attache aux croyances proprement totémiques et aux origines de ces croyances. Dans un premier temps, il va critiquer les théories précédentes sur les croyances primitives. Dans un second temps, il va montrer que le principe de la croyance totémique repose sur la notion de force diffuse qui émane du groupe tout entier auquel appartient l'individu. Il va souligner que la notion de force religieuse est le paradigme même de la notion de force en général. La présente étude s'inscrit dans le cadre d'une sociologie cognitive et portera donc essentiellement sur cette partie de l'ouvrage de Durkheim.
Dans le livre III, Durkheim décrit les principales attitudes rituelles liées au totémisme. Il distingue différentes formes de rites et différentes formes de culte : les rites positif (prescriptifs), les rites négatifs (qui interdisent), et les rites piaculaires d'expiation. Son analyse de l'interdit permet de comprendre tout un ensemble de rites religieux. C'est dans ce livre également qu'il élabore sa thèse de l'ambiguïté du sacré puisque le pur peut s'identifier au sacré mais l'impur aussi, le pur et l'impur étant en parfaite interaction.
La méthode utilisée par Durkheim consiste en trois étapes : la définition du phénomène, la réfutation des précédentes théories et l'adoption d'une méthode génétique pour montrer la nature du phénomène.
[...] Le tabou formule l'interdit par lequel la société sacralise, juge et sanctionne. Pour Durkheim, la société est la cause déterminante du sentiment religieux. Mais, à l'instar d'Aron ou d'Uricoechea, Rivière considère que c'est le sacré qui transfigure la société plutôt que la société ne rend compte elle-même de la notion de sacré. Durkheim peut dire que le sacré s'impose à la société, mais pas que la société est la source de cette idée. En considérant la société comme l'âme de la religion ou la cause de l'expérience religieuse, Durkheim ne donne guère d'informations. [...]
[...] Durkheim ignore les expériences religieuses solitaires. La signification des sentiments religieux apparaît dans les situations d‘'effervescence sociale''. Pour Boudon, cette théorie n'est pas acceptable en l'état. Elle vient seulement appuyer l'hypothèse selon laquelle le sens du sacré s'adresserait à la société. Boudon reconnaît l'importance de la théorie Durkheimienne de la religion. Il n'en accepte cependant pas toutes les propositions. Il retient de cette théorie les propositions suivantes : les sentiments religieux sont des sentiments sui generis, ils sont faits de respect plutôt que de craintes, ils ne sont pas des hallucinations, ils saisissent une réalité, le monde du sacré et du profane sont plus radicalement séparés que le monde du bien et du mal ; et rejette : c'est la société qui est l'objet du sentiment du sacré, il n'y a pas de religion sans Eglise, les situations d'effervescence sociale sont celles où le sens de l'expérience religieuse se révèle de manière directe. [...]
[...] Il peut être suscité par l'idée de divinité ou de forces surnaturelles, mais il est surtout suscité par les symboles de la société (drapeau, respect des détenteurs du pouvoir politique Pour Durkheim, c'est dans tous les cas la société qui constitue le référent du symbolisme. Si pour Durkheim le sentiment religieux est un sentiment sui generis, c'est parce qu'il témoigne de la perception du sacré. Le sacré est le caractère spécifique de la société. Le monde du sacré et celui du profane sont conçus comme séparés. La distinction entre sacré et profane est bien plus radicale que celle entre le mal et le bien. [...]
[...] Mais le philosophe n'explique pas l'origine des catégories. Durkheim esquisse sa propre théorie qui se lit dans les notions de temps, d'espace ou de causalité. Pour Durkheim la catégorie ‘'temps'' est présente de façon latente dans un nombre indéfini d'actions et de décisions (‘'successions récurrentes'', ‘'séquence indéfinie''). Sa conception de la notion de temps n'est pas trop éloignée de celle de Kant. Elle est qualifiée de ‘'matériale'' par Scheler, car cette notion s'appuie sur une expérience factuelle : le jour succède à la nuit, la fatigue à l'effort Pour Durkheim, les catégories décrivent des structures qui existent entre les choses et qui sont révélées par les besoins de l'action sociale. [...]
[...] Il évoque aussi l'impossibilité d'attester que les éléments constitutifs d'une institution observée à la fin du XIXème siècle aient été présents il y a des millions d'années. Il remet aussi en cause la légitimité d'une induction généralisatrice à partir d'un seul cas. Pour Rivière, la théorie de la religion de Durkheim est une version sociologique du naturisme. L'hypothèse selon laquelle dieu et la société seraient une seule et même réalité lui parait plus qu'hasardeuse. Pourquoi l'emblème totémique serait-il le symbole de dieu ? Pourquoi la société serait-elle transformée en objet sacré ? Pour Uricoechea, Durkheim prend ce qui est à expliquer comme élément de l'explication. [...]
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