La thèse que Luc Ferry veut développer est la suivante : alors que chez les Anciens l'œuvre d'art est conçue comme un microcosme (ce qui autorise à penser qu'il existe hors d'elle, dans le macrocosme, un critère objectif, substantiel, du Beau), elle ne prend sens chez les Modernes que par référence à la subjectivité pour devenir chez les Contemporains expression pure et simple de l'individualité.
Il y a donc rupture avec les Anciens, rupture qui se traduit d'abord par la naissance du goût et l'avènement de l'esthétique
[...] Le retrait du divin se manifeste ainsi pat sécularisation de l'idée de Dieu au niveau de la théorie de la connaissance. C'est cette sécularisation qui va conduire Kant à dévoiler l'autonomie de la sphère esthétique par rapport au monde intelligible et permettre d'apporter une solution à l'antinomie du goût. Le rationalisme classique et l'empirisme sensualiste présentent un même défaut: tous deux conduisent à fonder le "sens commun" qui se crée autour de l'objet beau, de façon telle que la subjectivité se trouve pour ainsi dire réifiée, et par là même, niée. [...]
[...] La discussion est donc inutile, "fatigante pour l'écrivain et dégoûtante pour le lecteur" (Dubos). S'installe donc ainsi cette antinomie du goût qui sera la question centrale de la Critique de la faculté de juger et que Kant résume ainsi: Thèse: le jugement de goût ne se fonde pas sur les concepts car autrement on pourrait disputer à ce sujet (décider par des preuves). Antithèse: le jugement de goût se fonde sur des concepts; car autrement on ne pourrait même pas, en dépit des différences qu'il présente, discuter à ce sujet (prétendre à l'assentiment nécessaire d'autrui à ce jugement) L'antinomie tourne toute entière autour de la question de la communicabilité du jugement esthétique, de sa capacité à transcender ou non la subjectivité particulière du cogito. [...]
[...] Il y parvient grâce à l'idée qu'il existe en l'homme, en tant qu'il ne saurait percevoir le monde autrement que sous les espèces de la sensibilité, un analagon rationis, une faculté qui serait pour le monde sensible ce qu'est la raison pour le monde intelligible. Dès lors, le Beau se situe à mi-chemin entre le rationnel et le sensible ordinaire; par son aspect confus, il s'oppose bien sûr à la raison mais entant qu'il est liaison de représentations, il se rapproche des vérités métaphysiques. Analagon veritatis il ne peut être saisi que par un analagon rationis. [...]
[...] Nietzsche critique donc cet individualisme des modernes qui est inséparable de l'égalitarisme à travers lequel il s'exprime et s'accomplit; ce lien paradoxal s'explique par le caractère "faible et craintif" de l'individu moderne qui, pour ne pas souffrir des différences, entreprend de les nier. La valorisation de l'individualité s'effectuera ainsi sur fond d'une égalisation et d'une homogénéisation préalables, sur fond, en ce sens, d'une certaine dépersonnalisation. Nietzsche opposera donc à l'individualisme des Modernes le "personnalisme des Anciens" pour qui l'individualité était valorisée comme telle, dans sa distance et dans sa différence. Le premier valorise plus l'égalité que la différence et va de pair avec le christianisme (égalité devant Dieu) et la démocratie (égalité devant la loi). [...]
[...] Toute la difficulté est que l'idée même de limite, encore présente avec le mérite, tend à s'estomper, délégitimée qu'elle est par l'exigence impérieuse de l'épanouissement individuel et du droit à la différence. [...]
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