Les études post-coloniales, un carnaval académique, Jean-François Bayart, émeutes des banlieues, ancien empire colonial, politique cohérente, France, postcolonial studies
Si l'on s'accorde en général pour considérer que les postcolonial studies sont nées en Amérique du Nord dans les années 1980-1990, dans le sillage de l'ouvrage fondateur d'Edward Saïd, Orientalism (Said 1977), cette épistémologie nouvelle a mis un certain temps à pénétrer le public francophone : pour le meilleur et pour le pire, l'Hexagone s'y est surtout intéressé à la suite des "émeutes des banlieues" de novembre 2005. Coïncidence, ou, pour certains milieux militants, signe d'une politique cohérente des rapports à l'ancien empire colonial, c'est la même année que fut votée la loi du 23 février 2005 ajoutant aux programmes du secondaire le "rôle positif" de la colonisation. D'emblée, les postcolonial studies (mouvement hétérogène mais dont l'objet a pu être défini comme « penser le postcolonial comme tout ce qui procède du fait colonial, sans distinction de temporalité ») ont ainsi été associées en France à l'opposition de gauche militant pour la reconnaissance des minorités, ce qui a contribué à les décrédibiliser auprès du milieu académique, tandis que la question se faisait jour dans les médias :
pourquoi les Français ont-ils attendu si longtemps pour s'intéresser aux postcolonial studies ?
[...] Et en l'occurrence, généralement, de la mauvaise histoire, de la mauvaise sociologie, de la mauvaise science politique (Bayart in Zecchini 2011:11). Jean-François Bayart reproche donc aux postcolonial studies d'extrapoler abusivement à partir des discours, pour analyser des pratiques qui n'y correspondent pas nécessairement, mais aussi leur textualisme-synecdoque (Smouts 2007:280), c'est-à-dire leur manie de prendre le fragment pour le tout, de généraliser à partir d'un discours particulier pour en étendre les opinions à tout un groupe d'individus, classe ou peuple. En cela, cette critique rejoint celle de l'essentialisation que l'on verra plus loin. [...]
[...] p.16) pour ensuite revendiquer la même idée comme une primeur française : "l'originalité des postcolonial studies est d'avoir fait le lien entre la critique du colonialisme et celle d'autres formes de domination, notamment dans le domaine du genre, en empruntant d'ailleurs largement, à nouveau, à des auteurs français" (op.cit., p.22). Axelle Brémont Fiche de lecture : J.-F. Bayart, Les études post-coloniales, un carnaval académique P 5 de 17 pas en reste, étant notamment le premier éditeur de De la postcolonie d'Achille Mbembe, un an avant l'édition américaine (op.cit. [...]
[...] Mais la seconde partie de cette phrase est intéressante : on peut faire des études postcoloniales sans pour autant en porter le label, nous dit en substance Jean-François Bayart. Et en effet, le questionnement postcolonial a bien débordé, surtout en France, la seule question de l'analyse des discours, d'où étaient partis les fondateurs des postcolonial studies tel Edward Said, occupé de décortiquer le discours colonial et notamment le rapport foucaldien établi entre savoir et pouvoir : Jean-François Bayart, lui-même politologue et enseignant un temps à Sciences-Po Paris, rappelle que ses propres travaux (tels La Greffe de l'Etat (Bayart 1996)), et ceux de ses collègues sociologues du politique, ont largement étudié les caractéristiques de l'Etat postcolonial en Afrique et en Asie (op.cit., p. [...]
[...] Bayart, Les études post-coloniales, un carnaval académique P 12 de 17 Comprendre les interactions coloniales dans les seuls termes de "domination" et de "réverbération" et donc cantonner la société colonisée à un mode réactif plutôt qu'actif appauvrit largement la réflexion, si bien que Jean-François Bayart propose d'y substituer le concept de subjectivation (op.cit., p.54). Une idée, inspirée du braconnage de Michel de Certeau12, qui a pu être développée en France, comme l'a fait Pierre Boilley en analysant la façon dont la société touarègue Kel Adagh a pu instrumentaliser et plier aux usages locaux l'intrusion française : Pour assurer leur indépendance naissante, ils avaient besoin d'accroître leur puissance, et dans ce but de trouver des alliances [ . [...]
[...] Un point de vue d'historien Critique internationale, no pp. 101-124 CHAKRABARTY Dipesh, Provincializing Europe. Postcolonial thought and Historical Difference, Princeton, Princeton University Press CHIVALLON Christine, La quête pathétique des postcolonial studies ou la révolution manquée in Dossier Qui a peur du postcolonial ? Mouvements, no DE CERTEAU, Michel, L'invention du quotidien, Paris, Folio/Essais Gallimard DIOUF Mamadou dir., L'historiographie indienne en débat. Colonialisme, nationalisme et sociétés postcoloniales, Paris, Karthala DOUKI Caroline et MINARD Philippe, Histoire globale, histoires connectées : un changement d'échelle historiographique ? [...]
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