Professeur de sociologie à l'université de Berkeley, sociologue canadien, Erving Goffman (1922–1982) a attaché son nom à l'analyse interactionniste des microphénomènes sociaux. Ses descriptions, à partir des acquis de la seconde École de Chicago — G. H. Mead et C. H. Cooley —, de la multiplicité des interactions qui régissent les relations entre les individus et réglementent sinon ordonnent la vie sociale, composent un important chapitre de l'histoire des sciences sociales. L'étude des rites d'interactions, l'examen systématique et précis des comportements mineurs ont été les principaux axes de sa recherche. En observant, à la manière d'un entomologiste, le comportement des individus en société, Goffman a dévoilé les nombreux rapports qu'entretiennent les gestes minimes, mimiques, appropriations symboliques éphémères de l'espace au sein des réseaux d'interconnaissances, de reconnaissance et de méconnaissances feintes qui forment la trame de la vie quotidienne.
En 1961, Erving Goffman publie Asylums (traduit en français en 1968 Asiles), ensemble d'études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus. L'auteur décrit dans ce livre les manières particulières dont l'hôpital est vécu par les malades. Mais, au-delà de l'observation scrupuleuse des conduites par l'ethnographe, se développe une analyse de l'institution totalitaire, de cet univers cohérent de l'asile ou de l'hôpital qui ordonne le désordonné, qui contrôle l'intimité du sujet et qui identifie les acteurs aux rôles. Cette description de la machinerie de l'institution totalitaire est doublée d'une étude sur la vie clandestine de cette institution. La présentation de l'apparence, le recours au faire comme si, la construction d'une attitude destinée à donner le change à autrui — un gardien, un infirmier, par exemple — peuvent être des dissimulations négociées avec ce qui est permis et admis. La contrainte institutionnelle produit alors le décalage entre ce que l'on fait et ce que l'on est.
[...] L'interprétation uniquement psychiatrique de la structure hospitalière [ ] en dépit de son vocabulaire savant [ ] reste ainsi une idéologie de la pratique immédiate et c'est elle qui représente le véritable empirisme en [ ] prenant son objet comme donné d'avance dans le cadre intersubjectif des rapports humains, au lieu de le reconstruire socialement et historiquement en fonction de l'ensemble des conditions objectives qui déterminent ce type de relation de face à face. pages Il convient donc de s'intéresser aux conditions sociologiques d'adhésion au langage médical ; plus le personnel y participera et plus il aura partie liée avec l'institution, c'est-à-dire plus sa position hiérarchique y sera élevée. À l'inverse, les personnels en relation quotidienne avec les malades seront beaucoup plus proches que les médecins des interprétations spontanées que les malades eux-mêmes donnent de leur conduite. [...]
[...] Dans toute société de quelque importance il existe des spécialistes, mais aucune n'a donné autant de poids à leurs services que la nôtre. page 380 Dans le type de relations sociales qu'étudie Erving Goffman, certaines personnes (clients) se mettent entre les mains d'autres personnes (praticiens-réparateurs) : le client respecte la compétence technique du praticien-réparateur et lui témoigne sa reconnaissance ; le praticien- réparateur [ ] possède une compétence ésotérique et efficace dans la pratique ainsi que le désir de mettre cette compétence à la disposition du client. [...]
[...] Certaines de ces activités sont officiellement patronnées par l'administration, les autres constituent des adaptations secondaires : ce sont par exemple le jeu, l'homosexualité, les bringues [ ] Qu'elle les patronne officiellement ou non, l‘administration intervient chaque fois que ces dérivatifs deviennent trop accaparants ou trop réguliers, ce qui est fréquent pour l'alcool, la sexualité ou le jeu. page 114 Et c'est bien dans les institutions totalitaires que ces dérivatifs sont le plus difficiles à se procurer, alors que c'est là qu'on en ressent le plus grand besoin. La perspective du départ peut provoquer de l'anxiété chez le reclus qu'il manifestera sous forme de blagues ou bien même de stratagèmes pour retarder son échéance. [...]
[...] page 413 car certaines attitudes disparaissent et d'autres apparaissent au séjour du malade en hôpital psychiatrique. Si l'hôpital psychiatrique éprouve des difficultés pour émettre un diagnostic, il en va de même pour administrer un traitement à un malade : selon l'auteur, [ ] Les hôpitaux psychiatriques ne dispensent jamais un traitement adapté à la nature de chaque forme de déséquilibre, contrairement à ce que font en règle ordinaire les hôpitaux de médecine générale [ ] page 414 ; le traitement est appliqué sans distinction à toute un groupe de nouveaux internés. [...]
[...] page 147 La fête annuelle ou pluriannuelle de l'établissement représente un autre type de rite institutionnel : [ ] au cours des manifestations traditionnelles de la vie en société que sont repas en commun, jeux de société ou danses, le personnel et les reclus sont amenés à se “mélanger”. page 148 Dans certains cas, l'abandon des rôles revêt même le caractère de l'inversion quand le personnel sert les reclus à table ou leur rend de menus services. Dans beaucoup d'institutions totalitaires, la fête annuelle coïncide avec la fête de Noël. [...]
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