Le procédé de l'auteur peut être décomposé comme suit : tout d'abord l'exposé, implacable, du problème considéré (ici, l'immigration et la guerre civile) et de ses manifestations; ensuite la recherche, sans aucun tabou, des causes du phénomène et des réactions qu'il suscite; enfin l'impact, présent et à venir, de ce phénomène dans nos sociétés, non sans que les faux remèdes et les vraies hypocrisies n'aient été préalablement démasqués. Synthèses séparées des deux essais, suivi de commentaires critiques
[...] Une différence cependant : la migration actuelle diffère nettement des migrations anciennes, qui étaient souvent des invasions massives où les Etats jouaient un rôle central (guerres, esclavage, colonisation). Avec le formidable accroissement de la mobilité et des inégalités, la migration d'aujourd'hui est "moléculaire", c'est-à-dire individuelle, et dictée par la détresse. La migration d'aujourd'hui, ce sont des millions de fuites individuelles. Cette grande migration suscite des réactions négatives dans les pays d'accueil, que deux métaphores originales permettent de caractériser. La première est la métaphore du compartiment. Imaginons deux voyageurs confortablement installés dans un compartiment de train, chacun ayant pris possession à sa guise des sièges libres. [...]
[...] Pour cet auteur, le travers contemporain consiste en une approche " culturaliste " des rapports entre culture et politique qui postule une causalité univoque de la première sur la seconde et aboutit au constat de l'incompatibilité radicale entre les cultures (cf. " le choc des civilisations " de S.Huntington). Dans ces deux essais, Enzensberg évite ce travers, il le dénonce même implicitement en fustigeant la fermeture des sociétés occidentales sur elles-mêmes. Mais c'est par son pessimisme quant aux possibilités d'intégration des étrangers, finalement culturaliste à son insu, qu'il diffère de J.F Bayard. Pour celui-ci, le politique n'est pas extérieur à la culture, il a une capacité d'influence sur elle. [...]
[...] "Dans le ghetto, le désir de porter une certaine marque de baskets est un mobile suffisant de meurtre; et un employé de bureau qui n'arrive pas à faire carrière comme chanteur pop se venge de cette humiliation en attaquant une banque ou en tirant dans la foule." Cette guerre civile "moléculaire", aux causes incertaines, a un impact tout à fait tangible dans nos sociétés qui n'ont le choix qu'entre deux réactions, également néfastes. La fuite vers des quartiers plus paisibles (ou des régions plus riches) est le réflexe naturel. Il aboutit néanmoins à morceler encore davantage le territoire (ou le monde) et à enraciner les poches de guerre civile. La solution alternative est l'autodéfense. Elle prend la forme du port d'arme ou de l'enfermement sur soi dans nos sociétés. Au niveau international, il s'agit, pour les pays riches, de "consolider le limes censé faire barrage aux barbares". [...]
[...] Cette situation est extrêmement grave, en premier lieu pour l'Etat lui-même. Selon Hobbes, l'obéissance des sujets ne dure que tant que le souverain est capable d'assurer leur sécurité. Qui plus est, la guerre civile "moléculaire" s'accroît par une dynamique de contagion : outre l'acclimatation progressive à la violence et l'uniformisation des comportements qui en résulte, il devient de plus en plus difficile de distinguer l'agression de la riposte défensive. D'autant plus que, finalement, tout le monde est coupable. Le concept de "civils innocents", massivement employé dans la littérature et les médias, est une imposture qui vise à dédouaner de toute responsabilité, après coup, ce peuple qui est toujours - dans le meilleur des cas - passif devant le Mal. [...]
[...] Dès lors, se repose l'éternel dilemme : comment répartir équitablement les hommes sur la terre sans compromettre la paix et la notion d'humanité? La question semble sans réponse. Pourtant, le désespoir ne saurait être total. Une "civilisation minimale" est exigible et d'ailleurs souhaitée par la majorité des hommes. Elle n'est cependant presque jamais atteinte à l'échelle mondiale. De ce fait, les pays privilégiés cherchent à se barricader de toutes leurs forces. Ils ne doivent cependant pas oublier que plus une civilisation se protège moins elle finalement, de valeurs positives à protéger. [...]
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