« L'histoire d'une société se reflète dans l'histoire interne de chaque individu », telle est selon Norbert Elias dans son ouvrage, La civilisation des moeurs, la « loi fondamentale sociogénétique ». La transformation de l'économie psychique des individus en Occident, dans le sens d'une pacification des relations, serait rendue nécessaire par les mutations des structures politiques, économiques et culturelles à l'oeuvre dans l'Occident de la fin du Moyen-Age et du début de l'époque moderne. Ce constat constitue le point de départ de l'ouvrage essentiel de Norbert Elias, Über den Prozess der Zivilisation, dans lequel ce dernier expose son originale sociologie historique. Cet ouvrage, divisé en deux tomes, La civilisation des moeurs et La dynamique de l'Occident, est publié en 1939 et rédigé à Londres où l'auteur, issu d'une famille de commerçants juifs, avait été contraint d'émigrer, après l'arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne. La publication de l'ouvrage reçut un faible écho dans une Europe en pleine Seconde Guerre mondiale, il faudra donc attendre, suite à un avis favorable de Raymond Aron en 1975, une traduction française, puis une édition de poche en 1976, pour que Le procès de civilisation obtienne le succès qu'il mérite.
Dans La dynamique de l'Occident, Elias montre, à la suite de Weber comment l'Etat moderne tend à s'approprier le monopole de la violence. Le contrôle social n'est donc plus assuré par des individus mais par l'armée ; de fait l'Etat impose des structures de contraintes extérieures aux individus, qui par l'intensification des systèmes d'interdépendance sont amenées à être intériorisées et à devenir des « autocontraintes ». Il accorde une place toute particulière au rôle joué par la noblesse de cour dans le processus de civilisation, qui, obnubilée par la préservation de son rang, se renferme dans une « société courtoise » régie par les « bonnes manières » et amenée à se diffuser au plus grand nombre, du fait de l'interpénétration accrue des relations humaines. Ainsi, en retraçant l'histoire des grands monopoles étatiques, Elias tente de démontrer en quoi la formation de l'Etat moderne, conditionnée par une division des fonctions poussée, est à l'origine du processus de civilisation ; et ce, sans volonté aucune des individus ou sans plan précis tendant à cette fin.
[...] La libre concurrence permet à des monopoles de se construire et d'imposer leur hégémonie et enfin de détenir le monopole de la violence physique pour pacifier les relations. L'accélération de la différenciation des fonctions sociales rendant les individus de plus en plus dépendants entraîne la modification de l'économie psychique individuelle dans le sens d'un apprivoisement des pulsions agressives. Au final, le travail théorique d'Elias repose sur une économie de moyen ; c'est avec parcimonie qu'il a progressivement fondé un modèle abouti de la structuration de la société. [...]
[...] L'effort des deux camps résidait dans l'accumulation toujours plus grande de territoires. La domination reste à l'époque une propriété privée du seigneur puisque la violence est utilisée pour anéantir les ennemis du roi et pour protéger ses partenaires et non pour le bien public. Le guerrier armé bénéficie donc d'une certaine indépendance car il menace physiquement ses sujets ; la couche supérieure, la noblesse guerrière n'est alors pas concurrencée ou seulement par ses semblables et au moyen de la violence physique. [...]
[...] L'usage des armes étant restreint les hommes sont sensibilisés à tout ce qui rappelle une attaque. Pour Max Weber État moderne est un groupement de domination de caractère institutionnel qui a cherché (avec succès) à monopoliser, dans les limites d'un territoire, la violence physique légitime comme moyen de domination et qui, dans ce but, a réuni dans les mains des dirigeants les moyens matériels de gestion. Le Prince a donc dû selon Weber lutter contre les "ordres", et pour cela s'appuyer sur les couches sociales qui n'étaient intégrées à aucun ordre : les membres du clergé, les lettrés qui avaient reçu une formation humaniste et la noblesse de cour. [...]
[...] Ainsi la monopolisation de la force a permis la mise en place d'un mécanisme de conditionnement social Un autocontrôle automatique et aveugle contre la déviance se développe, dû à la multiplication des relations sociales. Les mécanismes d'autocontrainte psychique se stabilisent grâce à la monopolisation de la contrainte physique et à la solidité des organes sociaux centraux. Quand le gain et le prestige remplacent les luttes armées, les manifestations émotionnelles tendent vers l'équilibre : La monopolisation de la violence physique fait de l'exercice de la violence un acte prévisible, et impose aux hommes non armés du champ pacifié une attitude réservée découlant de leur prévision ou de leur réflexion. [...]
[...] On observe cependant un paradoxe : comment peut-on dire que le mouvement de civilisation s'amorce lors de l'affirmation de l'absolutisme royal? marge de décision du propriétaire du monopole s'est singulièrement rétrécie du fait de la complexification du réseau social de son domaine. Sa dépendance par rapport à ses services administratifs et l'influence de ceux- ci s'accroissent nous stipule Elias. Cependant le maintien de l'ordre repose, comme nous l'avons vu plus haut, sur l'équilibre entre les intérêts opposés de différentes unités sociales. [...]
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