Au moment où l'attention médiatique tend à se focaliser sur les effets d'annonce du gouvernement concernant la politique d'immigration, de plus en plus rattachée, si l'on s'en tient aux discours dominants, à la politique d'intégration, la lecture attentive de la double absence du sociologue algérien Abdelmalek Sayad est sans doute la bienvenue, pour ne pas dire salutaire. Cet ouvrage posthume, qui est en fait un recueil de textes rassemblés et publiés sous la responsabilité de Pierre Bourdieu dont il fut le collaborateur et ami, nous invite en effet à une réflexion en profondeur sur ce que Sayad nomme « le poids des mots » (p. 305) qui commande avant tout qu'on se « déprenne de toutes les mythologies qui collent à la notion d'intégration pour saisir l'acuité des enjeux sociaux, politiques et surtout identitaires qu'elle dissimule » (p. 308). Pour l'auteur, l'analyse de l'intégration remet en cause le processus migratoire en son entier, c'est à dire toute la trajectoire de l'immigré et non pas seulement l'état d'aboutissement de cette trajectoire. En ce sens « l'intégration commence dès l émigration »(p. 314) écrit Sayad qui cherche à considérer l'immigration comme un fait social global.
Dans quelle mesure la prise en compte du parcours migratoire de l'individu dans sa totalité livre-t-elle le système complet de déterminations qui ont agi avant l'émigration et ont continué d'agir durant l'immigration pour conduire l'émigré au point d'aboutissement actuel : une dualité paradoxale que Sayad nomme la Double absence ?
Après s'être intéressé aux apports de l'analyse « intégrale » des trajectoires migratoires telle que nous la présente Sayad, il conviendra de s'arrêter dans un second temps sur les paradoxes inhérents à la situation de l' émigré-immigré partagé entre les structures économiques sociales et mentales des deux rives de la Méditerranée, contradictions entretenues et développées par un « système d'illusions collectives » qui fait sens. Enfin notre analyse réflexive portera sur la pertinence de la conception de l'émigration algérienne comme exemplaire et sur la confrontation des concepts d'analyse bourdieusiens développés par Sayad à la théorie de l'homme pluriel de Bernard Lahire tout en tentant de tisser des liens conceptuels entre les contradictions de l'émigré-immigré et les paradoxes auxquels doit faire face le «déclassé par le haut ».
[...] La figure de l'émigré est donc multiple, ses illusions variées. Ainsi, lorsque Sayad évoque l'immigration familiale comme la phase ultime d'un long processus de déstructuration du groupe d'origine, il ne prend pas en compte les migrations politiques qui déplacent par exemple souvent des familles entières à la recherche d'un asile. Les souffrances de l'émigré-immigré peuvent enfin être différentes selon qu'il intègre ou non, dans la société d'accueil, un réseau diasporique qui, comme le montre Emmanuel Ma Mung[4] pour la communauté chinoise vise à créer de l'extérieur une prise en charge transnationale des primo arrivants et permet donc de s'adapter plus aisément à l'habitus occidental. [...]
[...] L'émigration du deuxième âge n'est plus une mission confiée par le groupe mais l'acte d'un individu agissant de sa propre entreprise (p. 69). Le troisième âge de l'émigration n'est que la suite logique du second : l'émigration comme installation. Sayad décrit alors l'immigration familiale en précisant qu'il aura fallu un demi-siècle d'une émigration ininterrompue d'hommes seuls pour que cette immigration de travail se prolonge par l'émigration familiale de peuplement. Là encore, l'analyse est portée sur les interdictions propres à la société d'émigration, ne donnant à la politique migratoire des sociétés d'accueil qu'un rôle secondaire. [...]
[...] Pour faire face à ses contradictions inhérentes à la condition d'émigré-immigré, un mensonge collectif s'est développé autour de l'immigration algérienne. Le mensonge collectif autour de l'immigration algérienne Selon Sayad, un jeu de dissimulation est entretenu par les trois partenaires du phénomène migratoire : le pays d'émigration, le pays d'immigration et les émigrés-immigrés eux même. L'auteur montre qu'un accord tacite (p. 117) entre la France et l'Algérie s'est développé, au lendemain de l'indépendance, un travail collectif de dissimulation pour que l'émigré reste toujours un émigré et que l'immigré reste un immigré. [...]
[...] 104- 105. LAHIRE (Bernard), L'homme pluriel : Les ressorts de l'action, Paris, Nathan p [8]HALBWACHS (Maurice), Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, Albin Michel, coll. Bibliothèque de l'évolution de l'humanité (1er éd. 1925). 367 p. op.cit., p ibid., p ibid., p ibid., p SAYAD (Abdelmalek), La double absence, Paris, Seuil p ibid., p. [...]
[...] La double absence. Des illusions de l'émigré aux souffrances de l'immigré, d'Abdelmalek Sayad Au moment où l'attention médiatique tend à se focaliser sur les effets d'annonce du gouvernement concernant la politique d'immigration, de plus en plus rattachée, si l'on s'en tient aux discours dominants, à la politique d'intégration, la lecture attentive de la double absence du sociologue algérien Abdelmalek Sayad est sans doute la bienvenue, pour ne pas dire salutaire. Cet ouvrage posthume, qui est en fait un recueil de textes rassemblés et publiés sous la responsabilité de Pierre Bourdieu dont il fut le collaborateur et ami, nous invite en effet à une réflexion en profondeur sur ce que Sayad nomme le poids des mots (p. [...]
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