L'ouvrage de Gilles Chantraine, Par-delà les murs, traite de la légitimité de l'institution carcérale en axant sa réflexion sur la maison d'arrêt, où sont détenus les prévenus en attente de jugement ou de transfert vers un établissement pour peine, ou condamnés à une peine inférieure à deux ans. L'auteur s'attache à déconstruire un certain nombre d'évidences de l'opinion commune, notamment l'égalité de tous les détenus face à la prison, la maison d'arrêt comme lieu d'exécution d'une peine, et les conditions de détention jugées « anormales » par l'opinion publique. Une approche constructiviste, plaçant l'expérience comme manière de « construire, de vérifier et d'expérimenter le réel » est développée tout au long de l'œuvre. De même, la théorie des trajectoires de Goffman inscrit la délinquance comme le résultat d'un processus de stigmatisation et donne à voir toute la violence de l'institution carcérale. Nuançant cette approche, Gilles Chantraine démontre que les frontières entre le « dedans » et le « dehors » ne sont toutefois pas étanches.
L'ouvrage est divisé en deux parties, avec d'une part l'analyse d'un ensemble de trajectoires et des rapports subjectifs à l'enfermement, et d'autre part une analyse institutionnelle des notions de temps, d'ordre et de lien social en détention.
[...] Dans un premiers temps, Gilles Chantraine analyse trois trajectoires délinquantes. Il inscrit son étude dans une approche wébérienne, présentant une typologie des idéaux-types des rapports à l'incarcération. Le témoignage d'un détenu particulièrement impliqué, François, constitue le fil conducteur de l'étude. L'analyse de la trajectoire d'engrenage, directement issue de la lecture de Surveiller et Punir de Michel Foucault, incite à considérer les caractéristiques socio-économiques des détenus comme l'aboutissement d'un processus de désignation sociale. L'incarcération est décrite comme inéluctable, résultant d'une délinquance banalisée, d'une désaffiliation souvent accentuée par l'addiction à l'héroïne, d'un cadre familial absent et une d'exclusion du système scolaire classique. [...]
[...] Les tentatives de sorties de la trajectoire d'engrenage apparaissent alors vouées à l'échec, d'autant plus que l'autre alternative, la clochardisation, est perçue comme une « démission du sujet, route vers l'autodestruction ». Le stigmate restreint progressivement le champ d'action de l'individu au choix de la professionnalisation délinquante, unique voie de socialisation pour l'individu. Certaines entrevues mettent ainsi en avant un « choix de vie » des détenus, traduisant dans certains cas une réelle politisation, résultat d'un processus d'apprentissage des « techniques » carcérales. [...]
[...] L'exemple du sport intensif en prison est ainsi analysé par Gilles Chantraine comme symptomatique de l'atomisation, visant à « mettre le corps à mal pour en redevenir maître ». L'attitude de défection est quant à elle le signe de la suppression autant de la coopération que du contrôle social, poussant l'individu à tenter une évasion. L'illusion est donc due à la « définalisation » des actions entreprises en prison, en tant que « le contrôle des membres n'est plus le moyen d'obtenir une fin, il devient la fin ». Toutefois, Gilles Chantraine nuance la vision de la prison comme une institution « totale » au sens de Goffman. [...]
[...] SOCIOLOGIE : FICHE DE LECTURE Par-delà les murs, Gilles Chantraine (2004) L'ouvrage de Gilles Chantraine, Par-delà les murs, traite de la légitimité de l'institution carcérale en axant sa réflexion sur la maison d'arrêt, où sont détenus les prévenus en attente de jugement ou de transfert vers un établissement pour peine, ou condamnés à une peine inférieure à deux ans. L'auteur s'attache à déconstruire un certain nombre d'évidences de l'opinion commune, notamment l'égalité de tous les détenus face à la prison, la maison d'arrêt comme lieu d'exécution d'une peine, et les conditions de détention jugées « anormales » par l'opinion publique. [...]
[...] Il revendique le retour d'un discours abolitionniste de la prison, un droit d'initiative et un droit à construire sa vie. La démonstration déployée par Gilles Chantraine dans Par-delà les murs me paraît éminemment convaincante et intéressante, en tant qu'elle parvient à mettre en lumière les liens entre la société et la prison française. La mobilisation d'un dispositif de recherche varié, notamment le recours à une série riche d'entretiens permet de restituer fidèlement l'hétérogénéité des expériences carcérales tout en soulignant les points de convergence fondant des analyses plus théoriques. [...]
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